2019/04/11

8. L’ultime chance (8/9)




À la fin de son récit, l’autre tremblotait des lèvres.
- Ainsi, vous avez couché avec quelqu’un du service des manuscrits, répétait-il, ébahi.
- Et ça ne facilite rien, au contraire…
- Il a couché avec quelqu’un du service des manuscrits, déclara-t-il encore à la serveuse qui détourna la tête.
- Ça va ! Pas la peine de le crier sous tous les toits !
- Mais c’est fantastique ! Vous vous rendez compte que…
- Que rien ! le coupa-t-il sèchement. Je ne suis d’ailleurs même pas sûr que la demoiselle travaille ici…
Cela eut pour effet de calmer l’écrivain.
- Oui c’est vrai, reconnut-il un brin sombre, vous avez raison. Ne nous emballons pas trop vite.
- Vous ! rectifia-t-il, irrité.

Soudain, la porte de la maison d’édition s’ouvrit, aimantant leurs regards. Son genou cogna contre le plateau de la table. C’était elle ! En bottes, jean moulant et veste noire ! Elle arpentait le trottoir avec la précipitation de l’employé qui quitte définitivement son bureau. La pointe du nez fendant l’air et les cheveux palpitants ! Poursuivie par l’obsédante musique de ses talons !

À la tête qu’il faisait, l’autre comprit immédiatement.
- C’est elle… C’est elle, n’est-ce pas ?
Il ne savait quoi dire, quoi répondre tant il était paniqué.
L’autre lui serra très fort le bras :
- Eh bien, qu’attendez-vous ?! Allez-y !
Voyant que cette injonction ne suffisait pas, il ajouta :
- Sinon j’irais à votre place !
Cette phrase agit comme des ressorts. Bondissant de sa chaise, il courut derrière elle qui bifurquait à gauche.
Il la rattrapa au milieu d’une étroite rue peu fréquentée qui se jetait dans l’agitation d’un grand boulevard.
À sa vue, elle grimaça :
- Qu’est-ce que tu fais là ? Grommela-t-elle, clairement mécontente.
- Et toi ? Lança-t-il en feignant l’étonnement. C’est incroyable de se retrouver encore !
Ne gobant pas son mensonge, elle poussa un soupir exaspéré et reprit sa marche.
Il s’élança vers elle, lui saisissant l’épaule.
- Attends !
Sur le trottoir d’en face, une femme promenant son caniche s’était arrêtée pour observer la scène. Un commerçant désoeuvré l’avait rejointe, serrant son portable dans la poche de son pantalon.
- Quoi encore ?!
- C’est vrai, avoua-t-il. Je t’ai attendu toute l’après-midi devant ton travail mais…
- J’en étais sûre ! S’écria-t-elle. Jamais je n’aurais dû te le dire. Quelle idiote je suis !
- Ecoute-moi ! hurla-t-il en la secouant légèrement.
Dégainant son portable, le commerçant hésita : Devait-il prendre une photo, filmer ou bien appeler les flics ? « Attendez un peu » lui conseilla sagement la femme au caniche. Ce dernier jappa en signe d’approbation.
- Si j’ai fait ça, reprit-il d’une voix bredouillante, c’est uniquement parce que tu me manques… Je ne sais pas comment expliquer cela. Nous nous sommes pourtant peu vus… Mais c’est comme ça, tu m’as chamboulé. Et maintenant ma peau te réclame toute entière.
Elle expulsa un mince filet d’air par sa bouche entrouverte. Il continua :
- Alors oui, je te le promets, si tu ne ressens pas la même chose que moi, je m’en vais sur le champ et tu n’entendras plus jamais parler de moi. Je te demande juste de ne pas me mentir à cause de ton métier. De laisser parler ton cœur. Ne t’ai-je pas touché un peu ?
- Je… Je…, balbutia-t-elle, déstabilisée. Puis elle se reprit : Ce n’est pas possible, un point c’est tout !
Se défaisant de son étreinte, elle avança. Cette fois-ci, il ne la retint pas. Il la regarda s’éloigner, bras ballants.
Déçue, la femme tira sur la laisse pour que son caniche se lève. Rangeant son portable, le commerçant retourna à regret vers sa sinistre boutique pleine de babioles.

(À suivre)

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