À son retour en France,
Manuel Trèbon, pétant le feu informa son équipe du nouveau cap à prendre. Les
médias officiels qui en faisaient partie se mirent tout de suite à l’ouvrage.
Chaque journal télévisé rivalisa de zèle pour dépeindre avec noirceur le Turkménistan
du nord. On le qualifia de dictature atroce autant de fois qu’il était
possible. On montra des images en boucle, toujours les mêmes, de défilés
militaires avec ses soldats aux visages glacés qui lèvent leurs pieds au-dessus
de leurs casquettes, ses files interminables de chars et dans la tribune
présidentielle, le leader du pays, debout, entouré de ses généraux médaillés,
le menton haut et le regard fier. On parla du peuple opprimé et des nombreux
opposants qui croupissaient dans les nombreuses geôles turkménistaises (une
statistique établissait qu’il y avait une prison pour cinq habitants là-bas).
Un expert passa sur toutes les chaines et expliqua que le mot
« liberté » avait été supprimé du vocabulaire. Un autre qui suivit le
même trajet raconta que la torture était enseignée dès la maternelle. Kon Je
Nou fut comparé à tous les affreux qui avaient dirigé un État. On le décrivit
comme un mélange de Staline et d’Hitler, Staline pour son penchant à réprimer,
Hitler pour sa volonté de conquête. On montra également des extraits vidéo de
tirs de missiles en soulignant qu’en toute illégalité et en dépit des
protestations onusiennes, le Turkménisan du nord continuait de s’armer. Bref,
on prépara bien l’opinion publique pour l’intervention présidentielle.
Elle eut lieu deux jours
après ce matraquage médiatique. Le visage grave et la cravate austère, Manuel
Trèbon informa les concitoyens que la France se rangeait aux côtés des États-Unis
dans le bras de fer qui l’opposait au Turkménistan du nord. Puis s’adressant
directement à Kon Je Nou, il lui somma d’arrêter au plus vite de jouer avec le
feu. Son attitude était intolérable et il devait comprendre que s’il s’entêtait,
la France se mettrait à son tour en travers de sa route.
- Parce que la liberté et la
paix méritent qu’on se batte pour elle, conclut-il, le poing dressé au niveau
de son menton imberbe.
Cet avertissement qui passa
à une heure de grande écoute sur tous les médias français eut un faible
retentissement par-delà nos frontières. Très peu de médias étrangers le
relayèrent, focalisés sur la hausse des tensions entre le Turkménistan du nord
et les États-Unis. Néanmoins, par un formidable concours de circonstances, Kon
Je Nou tomba dessus alors qu’il faisait mécaniquement défiler les chaînes.
D’abord incrédule, il fixa
l’espèce de banquier qui le sermonnait comme s’il était à découvert. Puis,
quand l’autre le menaça ouvertement, serrant le poing et montrant les dents,
Kon Je Nou (qui voulait dire comme aimaient à le ressasser les journalistes
français : qui ne sourit jamais) sourit jusqu’aux oreilles. Il éclata de
rire ensuite pendant un long quart d’heure et se repassa une bonne dizaine de
fois le sketch.
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