2019/05/21

Lettre à Orangina



Je me rappelle, c’était dans la fin des années quatre vingt-dix. Je cherchais une boisson qui me convienne parfaitement. Le fils d’un de mes amis m’avait conseillé l’Orangina.

« Essaye Orangina, tu vas voir, wou, ça pète ! ».

Tels étaient ses mots. J’avais souri et lui avais donné amicalement quelques petites claques derrière la tête.

En effet, l’idée de boire du soda me paraissait totalement saugrenue. J’avais 35 ans à l’époque et je pensais avoir passé l’âge de boire des sucreries. Un petit sirop de cassis de temps en temps et encore pour faire plaisir à ma vieille tante Sidonie (84 ans). Et pas trop tassé, s’il vous plait.

Le soir même, j’avais un rendez-vous amoureux dans un restaurant du sixième. Au moment de commander les boissons, j’ai eu une hésitation. Mon amie a demandé un Kir Royal et m’a adressé un joli sourire charmeur. Mes lèvres se sont mises à trembler. Le serveur était un grand homme brun. De nombreux poils noirs lui sortaient des narines et vibraient à chacune de ses respirations. J’avais l’impression qu’ils m’appelaient à la manière des fantômes ou des spectres. J’étais hypnotisé.

« Alors, qu’est-ce que tu prends, chérie ? ».

J’entendais parfaitement les cliquetis que faisaient les couverts en s’entrechoquant. J’entendais aussi les mots qu’échangeait chaque client dans le restaurant. La lumière de la salle semblait irréelle. On aurait dit qu’elle venait directement de chez les anges.

« Ouh, ouh, chéri, le serveur attend ».

« Une Orangina » ai-je répondu avec une voix qui n’était pas la mienne.

Depuis ce jour, je ne bois plus que de l’Orangina. C’est MA boisson. Celle que j’aime avec un grand A.

Pourtant, je me permets de tirer le signal d’alarme. Depuis peu, Orangina n’est plus la même. Cette boisson n’a plus cette personnalité qui me faisait dire après chaque gorgée : Ouah, hum, top, c’est trop bon. J’ai l’impression qu’il y a moins de pulpe et plus de gaz dedans. L’impression aussi qu’elle veut ressembler à une boisson que j’exècre : le Coca-Cola.

De même, vous proposez plusieurs variétés d’Orangina. Je ne suis pas sûr que ce soit un bon choix. Moi, personnellement, je n’aime que l’Orangina originel.

Les autres variétés sont fades, pâles, artificielles. Sérieusement, vous en vendez beaucoup ? À force de vouloir multiplier les types d’Orangina, vous oubliez l’Orangina première.

À ce propos, une question qui m’a longtemps tourmenté : On dit un Orangina ou une Orangina ? Moi, je dis une, parce que je la trouve très féminine, cette boisson. Néanmoins, au vu de la tournure des événements, cette boisson a de plus en plus des allures de transsexuelle. Je vais bientôt l’appeler « Un Orangina » puisque elle semble être en train de subir une opération du sexe.

Et bientôt, si cela continue, je l’appellerai « Orangina » tout court puisque on lui aura même retiré le sexe. Enfin, à ce stade de la transformation, je chercherai une nouvelle boisson à aimer puisque celle que j’aimais sera devenue terne.

Voilà, j’espère que votre réponse ranimera le feu qui est en moi et menace de s’éteindre.

Sincèrement votre

Boris

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