Comme Alban craignait qu’elle arrive la
première, il était venu en avance au restaurant. Le serveur l’installa à une table,
près du bar. Posant son casse-tête emballé dans du papier cadeau à côté de son
assiette, Alban soupira.
Ouf, Valentine n’était pas encore présente.
Il s’en serait voulu si ça avait été le cas. Faire attendre une femme était
inexcusable.
Le serveur lui proposa quelque chose à boire
mais Alban déclina. C’était un homme d’une quarantaine d’année au teint si pâle
qu’on pensait souvent qu’il était malade. Il travaillait au service
informatique d’une grande agence de publicité et gagnait relativement bien sa
vie. Assez pour être propriétaire d’un appartement et faire des voyages.
Gentil, c’était le premier mot qui venait à
l’esprit des gens lorsqu’on parlait d’Alban. Tout le monde le trouvait gentil.
Quelque soit le problème qu’on avait sur son ordinateur on pouvait compter sur
lui pour le résoudre. De plus, il était toujours d’humeur égale et avenant.
Même si on le dérangeait pour une broutille on savait que, contrairement à ses
autres collègues, il ne s’en formaliserait pas.
« Ca fait parti du job » disait-il
et, le dépannage terminé, il retournait vers son bureau tel un cowboy sans son
cheval et le soleil couchant.
Bien qu’on se moquait parfois de ses chemises
à carreaux trop grandes et de ses pantalons raides aux couleurs passées, Alban
ne suscitait aucune animosité. Hommes et femmes l’aimaient bien et l’invitaient
de bon cœur à leurs pots.
Surtout les femmes d’ailleurs qui
n’oubliaient jamais de le complimenter pour sa disponibilité et sa gentillesse.
Cependant, si toutes l’appréciaient unanimement aucune ne s’intéressait
vraiment à lui.
C’était ça le problème. Alban n’attirait pas
le sexe opposé. Depuis son adolescence il avait accumulé tant de râteaux qu’il
aurait pu, en les assemblant, reconstituer la tour Eiffel.
À sa place beaucoup s’en seraient affligés.
Lui non. Il ne ressentait pas la moindre tristesse et n’était nullement abattu.
Au contraire, plus les échecs se succédaient plus il mettait de l’ardeur dans
sa quête. Car le temps était compté. Aussi n’avait-il pas le droit de se
relâcher.
Comme le restaurant était décoré de miroirs,
Alban s’examina dans l’un d’eux. Ça allait, aucun poil de nez ne sortait de ses
narines, ses cheveux étaient bien coiffés et sa chemise à carreaux impec. Il essaya
plusieurs sourires : en gardant les lèvres collées, en montrant les dents,
l’amusé, le chaleureux, le charmeur, l’intellectuel…
Insatisfait de ce dernier, il insista dessus.
Sans grand résultat…
Peut-être valait-il mieux s’abstenir d’en
faire ? Un sourire intellectuel raté avait de fortes chances de ressembler
à un sourire bête. En même temps, lorsqu’il était réussi, ça donnait à son
auteur une gravité certaine, proche de celle des grands penseurs. Son cœur
balançait…
Il regarda l’heure. Il avait encore une
dizaine de minutes devant lui.
(À
suivre)
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