2013/02/26

L'ultime bandaison


Les hommes cherchent souvent un sens à leur vie. Qui sommes nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? sont les questions primordiales qu’ils se posent à certains moments de leur existence, leur donnant l’expression grave des statues antiques au visage. Pour les non croyants, le silence qui suit ces questions suscite une terrible angoisse. Aussi, parmi ces gens, quelques-uns ont décidé de prendre les choses en main. Ils se sont réunis autour d’un bon gueuleton et ont décidé de constituer des groupes : le premier groupe serait chargé de répondre à la question « Qui sommes-nous ? », le second à la question « D’où venons-nous ? » et le troisième à la question « Où allons-nous ? ».
Après plusieurs années de réflexion et moult péripéties (des groupes se séparèrent puis se reformèrent, effectuant des come-back inespérés), l’un des groupes parvint à trouver une réponse. Surnommé le trio de la perdition, personne n’aurait pourtant misé un centime d’euro sur ce dernier. Composé d’un alcoolique, d’une dépressive et d’un fou, ce groupe était chargé de répondre à la dernière question : « Où allons nous ? ». Les clashs furent nombreux, l’alcoolique vomissant à chaque début de réunion, la dépressive ne tenant que des propos négatifs et démoralisants, le fou se cognant la tête toutes les cinq minutes contre le plateau de la table. Un jour, pourtant, il y eut communion. L’alcoolique, la dépressive et le fou regardèrent dans la même direction, c’est-à-dire vers le tableau sur lequel était inscrit à la craie jaune : « Où allons nous ? ». Traversant la pièce remplie de flaques séchées de vomi et de boîtes d’antidépresseur, un rayon de soleil illuminait le tableau et la question. L’alcoolique fixa la dépressive qui fixa le fou qui se cogna la tête contre le plateau de la table. « Bon sang mais c’est bien sûr » s’écria l’alcoolique, « l’homme tend… » continua la dépressive, « vers l’ultime bandaison ! conclut le fou en explosant de rire.
Dans son existence, l’homme ne connaît qu’une seule érection de ce type. En général, il s’agit de la dernière d’où son nom « l’ultime bandaison ». Elle dure exactement trente secondes. Pendant ce laps de temps, le sexe mâle prend des dimensions inhabituelles. Il est deux fois plus grand et gros que lors d’une érection normale. D’autre part, sa rigidité est exceptionnelle. En août 2005, dans l’état du Kentucky, trois gamins facétieux cassèrent une tronçonneuse en voulant raccourcir l’ultime bandaison de leur grand-père en train de dormir et de cuver son whisky (l’homme, parait-il, ne se réveilla même pas).
Lorsqu’il a cette ultime bandaison, l’homme ressent un immense bonheur. C’est comme s’il était touché par la grâce. Il chante et contemple son membre comme s’il s’agissait d’un astre de lumière. Si, à cet instant, il s’accouple, les quelques coups de boutoirs donnés peuvent procurer à sa partenaire plus de 49 orgasmes.
L’ultime bandaison se manifeste à n’importe quel âge, n’importe quel moment, aussi bien à 24 qu’à 95 ans, de jour comme de nuit. Peu d’hommes sont capables de la prévoir. N’ayant pas conscience qu’elle est leur finalité – la mort est secondaire – ils ne s’y préparent pas. Aussi, ils passent la majeure partie de leur existence dans l’obscurité. Un beau matin, ils se réveillent sans être plus capable de bander et ils deviennent irrémédiablement tristes. S’ils avaient pu assister au miracle de 30 secondes qui s’est produit pendant leur sommeil, jamais ils ne l’auraient été. Un tel spectacle annihile tous les plus beaux souvenirs. Oublie t-on un continent qui nait ?
Parfois, dans les lieux publics, des hommes sourient gracieusement, submergé par un bonheur qui leur semble sans cause. Irrésistiblement attirées, les femmes les dévorent des yeux en ayant des mimiques enjôleuses. L’ultime bandaison a encore frappé.

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