2012/12/05

Du balcon (Extrait 7)


Quand j’ai présenté mon appartement, j’ai parlé succinctement de mon balcon. Comme je l’ai dit auparavant ce balcon donne sur le parking de l’immeuble. J’y vais rarement même quand il fait beau. Pourtant, à chaque fois que j’y mets les pieds il se passe toujours quelque chose. L’autre fois, je fumais tranquillement en fixant les voitures garées. Si j’avais eu du pognon et le permis, je me demandais de laquelle j’aurais aimé être propriétaire. Je me demandais aussi de laquelle j’aurais pu ressentir une immense fierté, de celle très rare qui évacue pendant un bon moment les interrogations et livre sans frais de port une raison d’exister. 
Il faisait nuit noire. Si bien que je ne distinguais pas vraiment les véhicules. Mais même si j’avais pu les distinguer, n’y connaissant rien en matière automobile, je n’aurais su faire un choix. La nuit me convenait très bien, en fait. Je matais les ombres de métal et aucune ne ressortait du lot. C’était plutôt cool comme impression. Relaxant. Tout à mon ramollissement zen, je ne m’étais pas aperçu qu’un type promenant son chien s’était arrêté pile poil sous mon balcon : « Bonsoir ». J’ai baissé la tête. C’était un type gros et mal fringué avec un large sourire collé au visage, genre Smiley vivant. Au bout de la laisse qu’il tenait, un chien de taille moyenne et bâtard pissait contre un arbre. « Bonsoir » ai-je répondu sans réfléchir. Nous nous sommes dévisagés pendant de longues secondes, silencieux. Constatant que nous n’avions rien d’autre à nous dire je pensais que le type allait partir, surtout que son chien avait fini de pisser. Il ne bougeait pas. Moi non plus soit dit en passant. Malgré notre flagrant manque d’inspiration, nous attendions obstinément que s’épanouisse une conversation. Sans doute parce qu’on devait se sentir ultra seuls. Ce fut le type au sourire qui ouvrit le premier la bouche : « Vous êtes nouveau ici ? ». « Non ». « Ah c’est marrant parce que moi je vous ai jamais vu avant ». « Bin moi non plus ». Long silence encore. J’ai tiré quelques taffes sur ma cloppe. Le type attendait manifestement que je relance cet échange passionnant, que je fasse à mon tour un petit effort, mais rien ne me venait. « Y fait bon, hein ». « Ouais ». « Ni trop chaud, ni trop froid, le temps idéal ». « Tout à fait ». « C’est vraiment étonnant pour la saison ». « Je vous le fais pas dire ». Un bout du sourire du type s’affaissa, signe de découragement. « C’est votre chien, là ? ».  A nouveau souriant, il jeta un regard plein de chaleur sur son animal insignifiant. « Et je veux dire, ça bouffe beaucoup cette chose ? Le budget croquettes n’est pas trop élevé ? ». « Oh non ! » s’est écrié le type aux anges « Et puis à côté de ça, on a plein de satisfactions ! ». Et le type de m’énumérer les tas de trucs exaltants qu’il faisait avec son clébard : jouer, sortir, communiquer, regarder la téloche. Il était si fier de ses  arguments que j’en ai pris un air scié pour ne pas lui casser son trip canin. « Putain » j’ai dit « J’imaginais pas toutes ces possibilités, effectivement, vu comme ça… ». Le sourire du type croissait. J’avais l’impression qu’il allait lui dévorer tout le visage s’il continuait. « Franchement » a-t-il repris « Prenez un chien si vous ne savez pas quoi faire. C’est un excellent investissement ». « Je vais y réfléchir ». Resilence. Le clebs s’est gratté une oreille. Lui aussi se faisait grave chier. « Et sinon vous avez une voiture ? ». « Non » J’ai répondu. « Ah ». J’ai regardé ma cloppe. Eteinte. Tant pis. Le clebs s’est gratté plus fortement la même oreille. Il devait certainement avoir des puces. Un excellent investissement, mon cul. « Et sinon » a insisté le type « Vous avez une femme ? ». « Hein ? ». « Vous avez une femme ? » a répété le type, l’air bizarre. « Pas compris » j’ai fait et je suis rentré chez moi.

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