2012/11/24

Ma mère (Extrait 4)



Ma mère habite dans le même bâtiment que moi. Au onze. Au troisième étage. Quand je vais chez elle, c’est sa télé qui me réceptionne. Elle est toujours allumée. Lorsque ma mère s’absente, je me demande même si elle ne reste pas allumée. Ma mère déteste les hommes. Elle n’a connu que des déceptions avec eux. Pas un pour rattraper l’autre comme elle dit. Aussi, elle ne veut plus en voir un seul passer le pas de sa porte. Même pas le facteur. Je suis le seul à pénétrer dans son antre. 
Et quand je le fais, je morfle. Tellement de rage et de frustration se sont accumulées en elle qu’il faut que ça sorte ! Et puis je suis un homme. L’unique représentant de cette espèce scélérate et conne. Je mérite de payer pour les saletés des autres ! Car si j’avais été à leur place et dans une situation similaire, j’aurais fait exactement la même chose ! Indubitablement. C’est pourquoi elle se défoule sur moi, elle m’enfonce. Ca lui permet de surnager dans la merde de l’existence. Je ne lui en veux même pas. Je comprends. Et je me sens utile. Car, au fond, pourquoi sommes-nous là, si ce n’est pour encaisser la rage impuissante de nos ainés qui eux-mêmes ont subi les misérables colères des leurs ? Je ne vois pas d’autre intérêt à vouloir faire un enfant. Beaucoup se voilent la face derrière l’amour, ils y croient dur comme fer, mais si on leur foutait un miroir devant eux et leurs progénitures, ils verraient et ils seraient forcés d’admettre que l’amour n’existe que dans leurs crânes épais. Bin, ouais. A moins de procréer par accident. C’est ce que ma mère me rappelle de temps à autre à mon sujet. Que j’ai été procréé par accident et que si elle l’avait su, bin, elle se serait cramé la chatte plutôt que de me mettre au monde. Ou alors elle me dit que je suis un accident. Un putain d’accident qui n’aurait jamais dû naître. Seulement, le conard, qui la baisait mal au passage (tous les mecs qu’a connu ma  mère baisaient mal. A croire que c’était ça qui lui plaisait chez eux), s’est laissé aller comme un sagouin. Et elle s’est retrouvée grosse comme un utilitaire du jour au lendemain, sans pouvoir rien faire. Piégée et dég’. Avec moi.
Parait-il, à l’accouchement, le doc a cru me perdre. A peine sorti du ventre de ma mère, j’ai vu la gueule du monde et j’imagine qu’elle ne m’a pas plu. Et comme je pouvais pas en choisir une autre – Double déception, pas de menu sur lequel cliquer - j’ai sans doute estimé que le jeu n’en valait pas la chandelle. Je n’ai pas respiré. Ou j’ai arrêté de le faire. Et je pense que si j’en avais été capable, je me serais pendu avec le cordon. Ou fait hara-kiri avec une seringue. On mésestime l’intelligence des nouveaux nés. Constatant mon absence de réaction, le doc m’a saisi par les pieds et m’a foutu une claque aux fesses. Rien. Une autre claque plus forte puis encore une autre encore plus forte. Je ne desserrai pas les dents que je n’avais pas. Panique dans la salle. L’homme a frappé plus fort. Deux fois. A la deuxième, j’ai craqué. J’ai crié, et l’air s’est engouffré en moi comme une horde de barbares haineux.
Ma mère m’invite souvent à manger chez elle. Le soir surtout. Certaines périodes, je passe quotidiennement la voir. D’autres, j’y vais plus ou moins. Elle passe très rarement chez moi. Elle ne supporte pas mon foutoir. Elle ne supporte pas les odeurs louches qui, parait-il, s’entremêlent et planent dans mon appart’. Elle ne comprend pas ces poèmes collés aux murs (« qu’est-ce que ça veut dire ce charabia ? »), cette plante moche qui prend de la place (« laisse-la crever, tu vas voir, tu vas gagner de l’espace »), les affiches dans les chiottes (« tu crois que c’est un emplacement pour ce genre de choses ?... Si au moins c’était des bons films de cinéma ») et encore moins les revues pornos (« tu te branles encore à ton âge ? »). A la limite, la seule chose qu’elle comprend est ma télé. Et encore, quand elle est allumée ! Elle passe rarement et si elle passe c’est vraiment parce qu’il y a une urgence. La dernière fois, c’était à cause d’une femme.

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