Ma mère habite dans le même bâtiment que moi.
Au onze. Au troisième étage. Quand je vais chez elle, c’est sa télé qui me
réceptionne. Elle est toujours allumée. Lorsque ma mère s’absente, je me
demande même si elle ne reste pas allumée. Ma mère déteste les hommes. Elle n’a
connu que des déceptions avec eux. Pas un pour rattraper l’autre comme elle
dit. Aussi, elle ne veut plus en voir un seul passer le pas de sa porte. Même
pas le facteur. Je suis le seul à pénétrer dans son antre.
Parait-il, à l’accouchement, le doc a
cru me perdre. A peine sorti du ventre de ma mère, j’ai vu la gueule du monde
et j’imagine qu’elle ne m’a pas plu. Et comme je pouvais pas en choisir une
autre – Double déception, pas de menu sur lequel cliquer - j’ai sans doute
estimé que le jeu n’en valait pas la chandelle. Je n’ai pas respiré. Ou j’ai
arrêté de le faire. Et je pense que si j’en avais été capable, je me serais
pendu avec le cordon. Ou fait hara-kiri avec une seringue. On mésestime
l’intelligence des nouveaux nés. Constatant mon absence de réaction, le doc m’a
saisi par les pieds et m’a foutu une claque aux fesses. Rien. Une autre claque
plus forte puis encore une autre encore plus forte. Je ne desserrai pas les
dents que je n’avais pas. Panique dans la salle. L’homme a frappé plus fort.
Deux fois. A la deuxième, j’ai craqué. J’ai crié, et l’air s’est engouffré en
moi comme une horde de barbares haineux.
Ma mère m’invite souvent à manger chez elle.
Le soir surtout. Certaines périodes, je passe quotidiennement la voir.
D’autres, j’y vais plus ou moins. Elle passe très rarement chez moi. Elle
ne supporte pas mon foutoir. Elle ne supporte pas les odeurs louches qui,
parait-il, s’entremêlent et planent dans mon appart’. Elle ne comprend pas ces
poèmes collés aux murs (« qu’est-ce que ça veut dire ce
charabia ? »), cette plante moche qui prend de la place
(« laisse-la crever, tu vas voir, tu vas gagner de l’espace »), les
affiches dans les chiottes (« tu crois que c’est un emplacement pour ce genre
de choses ?... Si au moins c’était des bons films de cinéma ») et
encore moins les revues pornos (« tu te branles encore à ton âge ? »).
A la limite, la seule chose qu’elle comprend est ma télé. Et encore, quand elle
est allumée ! Elle passe rarement et si elle passe c’est vraiment parce
qu’il y a une urgence. La dernière fois, c’était à cause d’une femme.
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