Mon appartement est un trois pièces. Ses murs doivent être
en polystyrène (j’ai pas encore essayé d’en traverser un en courant) vu qu’on
entend parfaitement ce que font et disent les voisins. Dans la salle à manger,
j’ai mis une plante (un ficus) qui s’appelle Joséphine. Je lui parle et elle ne
me répond pas. Quand je sens qu’elle désapprouve mon point de vue, je ne
l’arrose pas pendant une semaine.
Je continue la visite. Et puis il y a les chiottes, ah
primordial les chiottes… J’ai mis des tas d’affiches de films dans les chiottes
– l’affiche de Matrix Reloaded me fait face quand je chie. A gauche, j’ai mis Halloween
et Orange Mécanique. A droite, Les Aventuriers de l’Arche Perdue. Par
terre, il y a une pile de revues de cul. Ainsi, j’ai de la matière à branlette.
Que dire d’autre, dans les couloirs, j’ai affiché des poèmes, mes poèmes. Il y
a un peu de tout : des poèmes d’amour, des poèmes de mort, des poèmes
débiles, nuls…Je ne les relis pas, mais cela me rassure en quelque sorte d’être
entouré d’écriture. J’ai aussi un balcon sur lequel j’ai vue sur le parking de
l’immeuble. Dommage que je n’ai pas de caisse, j’aurais pu la surveiller. De
toute façon, je préfère la vue de la cuisine : le cimetière. Je n’y suis
jamais allé. Si j’avais eu un chien peut-être. J’adore observer les gens à
l’intérieur. Par exemple, il y a une grand-mère qui y va pratiquement tous les
jours. Je ne sais pas pourquoi mais je me dis que ce n’est pas son mari qu’elle
va voir. Ni son fils d’ailleurs. Elle fait souvent la même chose. Elle prend un
arrosoir, le remplit d’eau puis longe l’allée principale, tête baissée. Le
poids de l’arrosoir que j’imagine rempli à ras bord la courbe vers le sol. Mais
sur son visage, je peux lire un petit sourire dû à un ancien bonheur. Au bout
de l’allée, elle tourne à gauche puis s’arrête à la troisième tombe. Là, elle
fait ce que tout le monde fait devant une tombe, je ne vais pas m’attarder. En
tout cas, la mamie reste devant la tombe pendant plus d’une demi-heure… Un
jour, s’il n’y a rien à la téloche, j’irai peut-être voir qui est enterré là.
Et si j’ai les couilles, j’irai interroger la grand-mère. Elle n’aura pas
intérêt à me décevoir. Faut voir toutes les forces qu’on mobilise pour adresser
la parole à un vieux. Ah, j’allais oublier, juste devant mon entrée d’immeuble,
il y a aussi les jeunes. Ils ont entre vingt et trente berges. Ils smokent et
gueulent jusqu’à très tard dans la nuit. Bref, ce sont un peu nos agents
d’ambiance, pow ! Ah, parfois je me dis qu’on a de la chance : Sans
eux, certains vivraient mal le voisinage de la mort. Peut-être même que
certains se seraient flingués au beau milieu d’une de ces sinistres nuits
blanches. Ouais, plus j’y pense, plus je crois qu’il faudrait les rémunérer,
ces jeunes.
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