2012/11/19

L'appartement (Extrait 2)


Mon appartement est un trois pièces. Ses murs doivent être en polystyrène (j’ai pas encore essayé d’en traverser un en courant) vu qu’on entend parfaitement ce que font et disent les voisins. Dans la salle à manger, j’ai mis une plante (un ficus) qui s’appelle Joséphine. Je lui parle et elle ne me répond pas. Quand je sens qu’elle désapprouve mon point de vue, je ne l’arrose pas pendant une semaine. 
Dans cette salle à manger, il y aussi une télé, ah très important la télé. Je la mate souvent – Elle me permet de grogner. Et puis aussi de délirer. Il m’est arrivé de rester plus de dix-huit heures d’affilée à regarder la télé. J’étais un vrai légume. Joséphine aurait pu m’arroser. Dans les autres pièces se trouvent un bureau et un lit. Il y a aussi des tas de feuilles sur lesquelles j’ai écrit et dessiné. A une période, je me croyais un artiste. Ma mère n’a pas arrêté de se foutre de ma gueule à ce sujet : « Un artiste, nan mais tu t’es vu ? Tu es sensible comme un robinet (là, j’aurais pu discuter : les robinets ont une vie eux aussi). Et puis tout ce que tu fais est nul ».
Je continue la visite. Et puis il y a les chiottes, ah primordial les chiottes… J’ai mis des tas d’affiches de films dans les chiottes – l’affiche de Matrix Reloaded me fait face quand je chie. A gauche, j’ai mis Halloween et Orange Mécanique. A droite, Les Aventuriers de l’Arche Perdue. Par terre, il y a une pile de revues de cul. Ainsi, j’ai de la matière à branlette. Que dire d’autre, dans les couloirs, j’ai affiché des poèmes, mes poèmes. Il y a un peu de tout : des poèmes d’amour, des poèmes de mort, des poèmes débiles, nuls…Je ne les relis pas, mais cela me rassure en quelque sorte d’être entouré d’écriture. J’ai aussi un balcon sur lequel j’ai vue sur le parking de l’immeuble. Dommage que je n’ai pas de caisse, j’aurais pu la surveiller. De toute façon, je préfère la vue de la cuisine : le cimetière. Je n’y suis jamais allé. Si j’avais eu un chien peut-être. J’adore observer les gens à l’intérieur. Par exemple, il y a une grand-mère qui y va pratiquement tous les jours. Je ne sais pas pourquoi mais je me dis que ce n’est pas son mari qu’elle va voir. Ni son fils d’ailleurs. Elle fait souvent la même chose. Elle prend un arrosoir, le remplit d’eau puis longe l’allée principale, tête baissée. Le poids de l’arrosoir que j’imagine rempli à ras bord la courbe vers le sol. Mais sur son visage, je peux lire un petit sourire dû à un ancien bonheur. Au bout de l’allée, elle tourne à gauche puis s’arrête à la troisième tombe. Là, elle fait ce que tout le monde fait devant une tombe, je ne vais pas m’attarder. En tout cas, la mamie reste devant la tombe pendant plus d’une demi-heure… Un jour, s’il n’y a rien à la téloche, j’irai peut-être voir qui est enterré là. Et si j’ai les couilles, j’irai interroger la grand-mère. Elle n’aura pas intérêt à me décevoir. Faut voir toutes les forces qu’on mobilise pour adresser la parole à un vieux. Ah, j’allais oublier, juste devant mon entrée d’immeuble, il y a aussi les jeunes. Ils ont entre vingt et trente berges. Ils smokent et gueulent jusqu’à très tard dans la nuit. Bref, ce sont un peu nos agents d’ambiance, pow ! Ah, parfois je me dis qu’on a de la chance : Sans eux, certains vivraient mal le voisinage de la mort. Peut-être même que certains se seraient flingués au beau milieu d’une de ces sinistres nuits blanches. Ouais, plus j’y pense, plus je crois qu’il faudrait les rémunérer, ces jeunes.

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