2012/10/31

Harcèlement moral (Scène de vie 4)




Du comptoir, on peut voir un bout silencieux de télévision. Un spot publicitaire pour une assurance y passe qui ressemble à de la propagande nazie. Les comédiens, strictement vêtus, outrageusement maquillés, ont tous le bras levé et le sourire cauchemardesque.

 Un serveur grand et maigre au visage couperosé s’occupe du service au comptoir tandis qu’un autre, bien coiffé, petit, trapu et avec un ventre proéminent gère la salle. 

Ce dernier ne cesse de donner des ordres à l’autre de sa voix de stentor, ne se privant pas au passage de lui lancer des piques : « Putain, bordel, écoute-moi, c’est pas comme ça qu’on fait le taff ! ». 

Réfugiés au coin tabac, le patron et la patronne, un vieux couple effacé, approvisionnent les fumeurs et les joueurs de gratte-gratte, feignant d’ignorer la tension qui monte entre leurs deux employés. 

Dans la file des clients, une gamine réclame en hurlant à sa mère une sucette. 

Le serveur grand se bat avec le percolateur. Surgit le petit de derrière sa caisse : « Merde, écoute moi, range pas la soucoupe avec la monnaie, le client va revenir ! Je le connais, il fume juste sa clope dehors ! ». 

L’autre le regarde avec un air bête. Dans ses yeux globuleux, pendant une seconde, scintille l’envie qu’il a de lui mettre son poing dans la gueule. 

« Et qu’est-ce que tu feras quand le client reviendra et voudra récupérer sa monnaie » continue l’autre, gueulard, mauvais, hargneux « t’auras l’air malin, tiens ! ».

Il remet la soucoupe remplie de pièce sur le comptoir, puis lance une vanne pourrie qui fait seulement glousser la patronne.
Le serveur grand saisit la soucoupe et la remet où elle était. Il prend à témoin un client chauve qui a perdu au cash : « T’as bien vu comme moi, il s’est cassé, le client ». 

L’autre acquiesce tandis que le petit coq, tout en servant des plats, fait des remarques désobligeantes sur son collègue à haute voix. Tâchant de garder son sang froid, le serveur grand discute avec les clients et les sert. Mais toujours, le roquet revient à la charge, critiquant chacun de ses actes et empiétant sur son territoire. Aux cuisines, le ton monte et les deux se disent leurs quatre vérités en face. Puis ils ressortent, les visages fermés, un plat du jour fumant dans une main. 

« Tocard ! » beugle le petit avant de se recomposer un masque chaleureux.



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