2013/04/05

Le sac plastique (Scène de vie 9)


Cinquième étage d’un immeuble. Je me mets au balcon pour humer l’air de cette fin de journée. Dans le ciel, des nuages bruns dégringolent, comme trop lourds, remplis de plomb et d’acier. Plus bas, la cours circulaire est vide. Enfin pas tout à fait. 


Entre la pelouse et les halls, un sac plastique. Le corps gonflé d’air et frémissant, l’objet effectue de grands cercles endiablés. Les anses dressées au dessus de sa tête invisible, il accomplit une chorégraphie joyeuse et insolite. Il tourne sur lui-même, virevolte, bondit, exécute de périlleux entrechats et de subtiles pirouettes. Puis, lorsque le vent cesse de souffler, l’objet s’affale, redevient statique et vulgaire, tapis moche, détritus parmi d’autres, ne suscitant pas le moindre intérêt. La magie s’est envolée. 

A tout hasard, je regarde les balcons voisins à la recherche d’un éventuel apprenti sorcier – Mickey, montre-toi ! - On ne sait jamais. Personne. Les gens sont définitivement chez eux, vaquant à leurs occupations ou s’abandonnant dans l’inertie. 

Je bois mon verre. Le vent souffle à nouveau, ressuscitant le sac, l’animant encore, ce n’est pas fini ! L’objet danse avec plus de frénésie que la première fois. Grands tours dans la cours, sauts, pointes, demi-tours, il semble infatigable, dans un état second, extatique ! J’ai la certitude qu’il ne vient pas d’un quelconque  supermarché. Qu’il ne s’agit pas d’un pauvre sac de course abandonné se déchirant dès que plus de trois articles y sont glissés. A l’instar de certains oiseaux, il a fait un grand voyage. Il vient d’Afrique ou d’Asie, ils étaient des milliers. Beaucoup ont péri pendant le périple, à cause du temps ou de la fatigue, parce qu’ils n’y croyaient pas ou qu’ils étaient fragiles. Lui-même a eu des moments de doutes, des hauts puis des bas, mais il est arrivé ! Après ces jours et ces nuits, ces pluies, ce soleil, ce froid ! Arrivé ! Alors il danse ! Flotte légèrement au-dessus du sol, les anses vibrantes, se frotte à lui et saute et tournoie. Le monde est à lui ! Séries de cabrioles extravagantes et l’objet s’immobilise à nouveau. Je n’attends pas que le spectacle reprenne. Je lève mon verre à l’objet puis rentre à l’intérieur de l’appartement. Merci.


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