2019/04/10

7. L’inconnu au manteau fripé (7/9)



L’homme avait le visage ridé et de folles mèches blanches. Il portait un manteau fripé et un foulard mauve. Sous son bras droit était coincée une vieille sacoche en cuir.
Il jeta un coup d’œil sur la terrasse et constatant qu’il y avait encore des places libres, lança un regard interrogateur à l’individu.
Nullement déstabilisé, ce dernier s’assit quand même sur une chaise :
- C’est la première fois que vous venez ici, n’est-ce pas ? siffla-t-il en se penchant sur lui avec un air chafouin.
Il acquiesça bêtement, se demandant où l’autre voulait en venir.
- Isabelle ! hurla tout à coup l’homme à la serveuse qui débarrassait une table. Un autre !
Puis, s’humectant les lèvres, il se pencha à nouveau vers lui.
- Allons, ne faites pas l’étonné ! Je sais très bien pourquoi vous êtes ici. Depuis tout à l’heure vous ne quittez pas des yeux la maison d’édition. On ne me la fait pas à moi !
- Et alors ?
- Vous avez écrit quoi ? poursuivit l’autre sans tenir compte de sa réponse. Un roman ? Un essai ? Un recueil de nouvelles ?... Je vous préviens tout de suite, si c’est un recueil de nouvelles, vous perdez votre temps… Où est d’ailleurs votre manuscrit ?... Je ne le vois pas.
Il haussa les épaules.
- Je n’en ai pas.
Les yeux du farfelu se révulsèrent :
- Ou la la ! Ne me dites pas que tout est dans votre tête parce que là, aucun doute, ils vous enverront paître !

2019/04/09

De l'eau dans le gaz (Transport 2/15)


6. Du poste d’observation (6/9)



Arrivé devant la maison d’édition, son euphorie et sa détermination le quittèrent. Située à proximité d’une place, elle était dominée par l’édifice surélevé et pompeux d’un théâtre, constitué de colonnes obèses et blafardes. Sentant ses jambes trembler, il s’immobilisa à quelques mètres de l’entrée rikiki en verre équipée d’un interphone. Ses pensées tournoyèrent dans tous les sens : Et maintenant que faire ? Qui demander à l’interphone ? Et pour quelle raison ?... Des perles de sueur dégoulinaient sur son visage défait. Son cœur battait la chamade et ses muscles étaient contractés. Il se sentait incapable de faire un pas de plus. « Pardon » fit un livreur pressé et pas rasé en l’écartant. Puis, s’annonçant à l’interphone, il disparut à l’intérieur de la maison d’édition. Complètement paralysé, il ne profita pas de l’occasion pour entrer. Il s’éloigna même du bâtiment comme s’il était infesté de créatures malfaisantes. Boire, il avait besoin de boire quelque chose de fort pour reprendre du poil de la bête. Ça tombait bien, au milieu de la place se trouvait la terrasse du café du théâtre. Il s’y installa, déprimé. « Qu’est-ce que je vous sers ? » lui demanda une jeune femme sur un ton de fusil à pompe braquant une sandwicherie. « Un rhum sec ». Elle acquiesça comme si, pour lui, c’était le meilleur choix à faire puis prit la poudre d’escampette.

2019/04/08

Spéculation (Transport 1/15)


5. L’œil du tigre (5/9)



Les jours suivants lui parurent horribles. Il s’en voulait de l’avoir laissé partir. Il se traitait de lâche dès qu’il voyait son reflet dans une glace ou une vitrine. Il aurait dû la retenir avec un baiser, une étreinte, une explosion de colère, un écoulement de larmes, un hurlement triste. Ou du moins essayer. Pourquoi n’avait-il rien fait ? Pourquoi était-il resté prostré sur sa chaise comme une statue débile ? Plus ces pensées revenaient dans sa tête plus il broyait du noir. Au boulot, pour un oui ou pour un non, il envoyait paître ses collègues. Il écoutait d’une oreille distraite les clients et leurs donnait de mauvais conseils. Dès la fin de l’heure, il se précipitait chez lui et s’enfermait dans sa chambre plongée dans les ténèbres. Là, il restait allongé sur le lit à ressasser son échec. Le téléphone pouvait sonner, il ne décrochait pas. La faim se manifester, il ne se nourrissait pas. Le sommeil le gagner, il ne fermait pas les yeux. Au bout de trois jours de ce régime, il alla voir son médecin traitant qui lui prescrit un arrêt d’une semaine. Il ne savait pas si ce laps de temps suffirait mais c’était toujours ça. Il aviserait dans le cas contraire. Et puis peut-être qu’en passant à l’action, son mal diminuerait. Même s’il n’obtenait aucun résultat.

2019/04/05

4. La révélation (4/9)




Ils s’installèrent à la terrasse d’un café. Elle commanda un thé, lui un demi. Autour d’eux, les gens palabraient en regardant leurs semblables défiler. Le garçon de café ne cessait de faire des va-et-vient entre les tables, comme si, pour compenser la langueur générale, il devait s’agiter cent fois plus. Sans se presser, le soleil amorçait sa descente vers les toits des habitations.
Elle souffla sur son thé puis l’effleura du bout des lèvres pour le goûter.
- Alors ? demanda-t-il, impatient.
Elle jeta un coup d’œil à gauche et à droite puis dit d’une voix à peine audible :
- C’est parce que je travaille au…
Elle baissa tellement la voix qu’il n’entendit pas la fin de sa phrase.
- De quoi ?! cria-t-il.
Affolée, elle lui fit signe d’être plus discret. À nouveau, elle regarda ses voisins qui poursuivaient leurs conversations.
- C’est parce que je travaille au service des manuscrits d’une grande maison d’édition.
Écarquillant les yeux, il se laissa tomber sur son dossier. Elle avait reposé sa tasse sur sa soucoupe et le fixait gravement, convaincue de l’effet choc de sa révélation.
- Et alors ?! finit-il par s’exclamer.

Ma belle fille et moi (5/6) : diplomatie


2019/04/04

Ma belle fille et moi (4/6) : préadolescence


3. Conversation champêtre (3/9)




Ils remontèrent l’allée, séparés. À un moment, il chercha à lui saisir la main. Sans succès.
- Tu ne veux toujours pas me le dire ? Bougonna-t-il en enfonçant ses mains dans les poches.
- Quoi ?
- Ton prénom.
- Je te l’ai déjà dit. Il ne vaut mieux pas.
Il la doubla et se posta devant elle.
- Mais pourquoi ?!
Elle le contourna en soupirant.
- Je te préviens : si je te le dis, tu ne me verras plus jamais.
- Peuh, comme si notre rencontre n’était pas due au hasard ! S’écria-t-il, remonté.
Elle lui adressa un regard sibyllin :
- Va savoir.

2019/04/03

Ma belle fille et moi (3/6) : l'astuce


2. Chaudes retrouvailles (2/9)



Les mois passèrent. Avec le temps, il considéra cet épisode avec humour. Lorsque, entre potes, arrivait le moment des anecdotes salaces, il se vantait d’avoir couché avec une espionne. Pour rendre son histoire plus croustillante, il ajoutait de faux détails : La demoiselle avait un accent de l’est et un calibre dans son sac à main. Elle avait exigé que les rideaux soient tirés et inspecté minutieusement toutes les pièces avant l’acte. Un des talons de ses bottes était en fait un sex toy dernière génération. Même s’ils y croyaient à moitié, ses potes, hilares, le questionnaient pour en savoir encore plus. Alors, pour leur faire plaisir, il rajoutait de nouveaux détails…
Finalement, cette histoire prit pour lui l’allure d’un rêve. À tel point qu’il en arriva à se demander s’il l’avait réellement vécue. Puis il l’oublia…
Or, un jour qu’il se baladait dans un parc, il la revit. Le choc fut terrible. Un éclair s’abattant à ses pieds ne l’aurait pas plus ébranlé. Elle était assise seule sur un banc à côté des joueurs d’échec. Les jambes nues et prolongées par des talons, elle écrivait sur un petit calepin. Tous les hommes alentours lui jetaient des coups d’œil en loucedé. Elle croisait et décroisait ses jambes, mine de rien, l’air pénétré. Ses vêtements près du corps laissaient deviner ses formes charmantes. Par endroits et suivant ses mouvements de tête, des éclats de soleil se reflétaient sur sa nuque et ses cheveux sombres. Une bombe. Elle aurait laissé tomber son stylo par terre et sur les cinq cent mètres à la ronde, tous les hommes se seraient précipités pour le ramasser. Il y aurait certainement eu des morts.

2019/04/02

1. Une liaison prometteuse (1/9)


Il l’avait rencontrée à une soirée entre amis. Enfin entre amis, lui était le pote d’un pote de l’hôte. Elle semblait être à peu près dans le même cas que lui, connaissant à peine les personnes présentes. À table, ils s’étaient retrouvés l’un en face de l’autre. Il lui avait souri et elle lui avait souri. Mangeant quasiment à la même cadence, tous les deux s’étaient arrêtés au moment du plat, la fourchette à hauteur de la bouche portant la même quantité de gratin, s’étaient regardés puis avaient ri. Il l’avait tout de suite trouvé charmante, une jolie brune aux yeux brillants, avec une voix onctueuse comme un flan à la vanille. Cette voix lui avait d’ailleurs procuré plusieurs érections, plus ou moins franches, plus ou moins rigides.
Ils conversèrent de tout et de rien puis, à la fin de la soirée, il lui proposa de boire un dernier verre chez lui. À son grand étonnement, elle accepta. Ils se jetèrent l’un sur l’autre à proximité de la porte de son appartement. Il la lécha, la doigta puis la ramona debout sur le paillasson. Ils burent un verre ensuite et remirent le couvert sur la table de la salle à manger. Alors qu’il la besognait, il pouvait voir à travers les fenêtres du balcon les silhouettes des immeubles de la ville dont certains yeux, malgré l’heure tardive, projetaient encore de la lumière.
- Tu es magnifique, lui dit-elle après avoir éjaculé par terre.

Ma belle fille et moi (2/6) : Interruption