Walking Leader dead price (Scène de vie 18)

Matin d’hiver. La boulangerie est fermée. Je promène ma sale gueule pas réveillée dans le Leader Price du quartier. Rayons encombrés de marchandises posées à l’arrache qu’on n’a pas envie d’acheter. Qu’est ce que je fous là ? C’est la question qui se répète dans mon esprit alors que je sais très bien ce que j’y fous. Des tas d’autres sales gueules me croisent comme le reflet de la mienne en plus ou moins vieux ou moche. On se croirait au bal des zombies. A la radio, une pétasse d’une station ado hurle comme si elle se doigtait en permanence. C’est le genre de personne qu’il faudrait interner pour un monde meilleur, éh bien, non, elles sont partout, ces personnes, à la radio, à la télé, au pouvoir. On les admet, résignés de bon matin au Leader Price alors qu’on a fait des tas de cauchemars la veille, qu’on a mal dormi et qu’on est à côté de la plaque. On les tolère comme le verglas gadouilleux sur la chaussée. Que voulez-vous. Parfois, je me retrouve coincé entre deux morts vivants qui semblent hypnotisés par les produits exposés. Je ne dis rien. J’attends. Indifférents à ma présence, ils contemplent des articles qu’ils ne prendront pas. Ils n’ont pas conscience qu’ils me bloquent le passage. Ils sont gras et imposants. Défroqués comme à la maison. Inutile de leur adresser la parole. Ils n’entendraient rien. Ou alors ils seraient capables de piquer une colère et de me bouffer la joue. Aux légumes, une nana s’engueule avec un employé qui range des salades. « Si j’ai bien compris, je dois me démerder ! » dit-elle. L’autre continue ses petites affaires sans se retourner. « Eh ouais » maugrée t-il « je suis comme ça ».

Photo tronquée (Mots des autres 65)

Un fils à son père après qu’ils aient fait un selfie masqués : « C’est bien, on n’est pas obligé de sourire ».

6. Le client mystérieux (Hollywood Cauchemars 6)

Début

Si les filles qui rêvent devant ma photo me voyaient au réveil – Brad Pitt

J’étais dans un grand restaurant avec des amis quand un serveur m’apporta un message. Tout de suite, Ralph me charria :

- Encore un admirateur !

Blasée, j’ouvris le papier plié en quatre.

En effet, il arrivait souvent que les hommes m’accostent de manière plus ou moins directe (l’une des plus extravagantes fut quand un type en parapente atterrit à côté de moi au sommet d’une falaise. Pourtant, je ne portais rien de sexy sur moi, mais d’après ses dires, il avait confondu ma chevelure flamboyante avec le soleil). Est-ce parce que je suis canon ? Ou que je dégage une puissante aura sexuelle ? Ou encore à cause de ce mélange rare et détonnant ?

Je l’ignore, mais depuis ma prime adolescence, les types me courent après. Suivant les jours, c’est un motif d’orgueil ou d’exaspération, ça dépend. Aussi, je suis devenue impitoyable. Pour mille mecs qui me draguent, un seul aura une ouverture avec moi. Après pour niquer, il devra trimer. Naturellement, le fait qu’il soit célèbre et plein aux as jouera en sa faveur. Cependant, cela ne sera pas suffisant. Il faudra qu’il me montre le truc qui le distingue des autres. Le truc qui fera que j’ai envie de le pomper ou de me prendre sa queue dans le fondement. Et ça, ce n’est pas gagné.

Il y a peu d’hommes dans le monde à qui je donnerai mon cul les yeux fermés. À vrai dire, ils se comptent sur les doigts de la main : trois. Steve Job, mais il est mort, Sean Penn et Brad Pitt. Deux acteurs donc dans le lot et cela n’a aucun rapport avec une soi-disant passion pour le cinéma.

Je n’éprouve pas de plaisir particulier à aller voir un film dans une salle obscure et mes connaissances dans ce domaine sont inversement proportionnelles à celles que j’ai sur le sexe.

Ainsi, j’ai horreur qu’on me complimente sur ma prétendue cinéphilie. Comme tout le monde, je sais les bases, oui j’ai vu tous les Star Wars, oui je sais que la scène finale du film les Incorruptibles de Brian de Palma de 1987 est un hommage au film d’Eisenstein : Le Cuirassé Potemkine et oui je sais que le cinéma Coréen de ces dix dernières années a produit de nombreuses pépites telles que « Mademoiselle » de Park Chan-wook, « J’ai rencontré le diable » de Kim Jee-Woon ou encore « The chaser » de Na Hong-Jin.

Et alors ? C’est juste de la culture G, pas de quoi en faire un plat ! Quant à l’origine de mon faible pour Sean Penn ou Brad Pitt, elle vient de ce que les deux sont de vrais mecs. Ils auraient été chauffeurs de bus ou pizzaïolos, j’aurais ressenti pour eux exactement la même attirance animale. Est-ce clair ?

Après avoir lu le mot, je me retournai vers le garçon :

- Ça vient de qui ?

Embarrassé, l’employé dégingandé montra une table déserte dans un coin de la salle.

- Qu’est-ce qu’il dit ? s’enquit Ralph en se poilant.

Je haussai les épaules.

- La routine. Qu’il me trouve sublime et qu’il souhaite que je le rejoigne à l’extérieur du restaurant.

- Quoi ? Maintenant ? s’étrangla Bree, une main sur son décolleté plongeant comme si elle détenait la plus belle poitrine du monde et que tous les mâles présents louchaient dessus.

Malgré ses façons agaçantes de toujours en faire des caisses, sa réaction se comprenait. Nous en étions à peine à l’entrée. Croire que j’allais me déplacer à ce moment du repas pour aller le voir témoignait chez celui qui m’y invitait d’une incroyable vanité. Surtout que je ne savais même pas à quoi il ressemblait.

Toujours charmant et parce qu’il était installé face à la table de mon mystérieux admirateur, Harry vint à mon aide :

- Le type qui t’a écrit était très âgé, expliqua-t-il, genre soixante-quinze ans. Chauve, voûté et d’à peu près un mètre quatre-vingt.

- Oui, confirma Betty à ses côtés. Il portait une grosse monture à écaille également.

- Ah ! Ah ! Ricana Ralph. Stacy a la cote auprès des vieux croulants !

Vexée, je le fusillai du regard puis me levai.

- Qu’est-ce que tu fais ? Bégaya-t-il avec des yeux de mérou terrorisé par un requin blanc.

Depuis que je le connaissais, Ralph avait toujours cherché à coucher avec moi. Se croyant irrésistible et plein d’humour, il avait cumulé les échecs mais ne désespérait pas.

Une fois de plus, le pauvre chou comprit qu’il allait s’astiquer le bout tout seul ce soir.

Le visage cramoisi, il cria dans mon dos :

- Mais... Stacy... Attends !

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