2019/12/14

Le bras droit de Donald Moumoute (Crise internationale 10)



 

La voix de la marionnette était celle de Paul Robson, dont l’intonation grave amplifiée avait rejoint le côté obscur de la force. Installé avec le reste de l’équipe dans une pièce adjacente, il pouvait voir Donald Moumoute grâce à deux micro caméras cachées habilement dans la dentelle de la salade.

 - Oui, opina le président avec un petit sourire en coin. Si tu savais comme j’en ai ras la cacahuète d’être entouré d’incapables. Je les aurais virés depuis belle lurette si tu ne m’en avais pas dissuadé. Paul Robson en premier, un vieux grincheux qui conteste toujours mes idées.


- Peut-être cherche-t-il ce qui est le mieux pour vous ? suggéra la prétendue créature de l’espace d’une voix grinçante.


- Penses-tu ! Il est jaloux ! Déjà de ma perruque flamboyante ! Il aimerait bien porter la même ! Je le vois à son regard de bigleux qui brille pendant nos réunions. S’il avait des serres à la place des yeux, il me l’arracherait avec la peau du crâne. De plus, il aurait voulu que le projet de mur à la frontière mexicaine vienne de sa personne. Quand je l’ai exposé au début de mon investiture tu aurais vu sa tête ! Il était à la limite de s’en mordre les doigts !


- Crois-tu vraiment que sa réaction était due à ça ? objecta Paul Robson en s’efforçant de garder son calme.


- Ça pétille comme du coca* (*équivalent de ça coule de source) ! éructa l’ancien capitaine d’industrie brut de décoffrage. Mon idée est absolument géniale ! Construire un mur de vingt mètres de haut sur une distance de plusieurs centaines de kilomètres qui va sécuriser notre pays. Nous ne serons plus envahis par les pouilleux et les dealers. Nos concitoyens pourront même assurer la garde au sommet du rempart. Jusqu’alors aucun président n’y avait songé. Je suis le premier. Seul problème, l’édification de ce mur va mettre plusieurs années. Or, je dispose de peu de temps pour inverser la vapeur. Les américains veulent des résultats immédiatement. Je dois leur montrer que j’en ai dans le pantalon.


- Justement, rebondit le conseiller dans sa planque aveugle.


- Et si on t’imprimait dessus ? le coupa Donald Moumoute, la frange soudain hirsute.


- Pardon ?


- Si on te représentait sur le mur, s’échauffa le sanguin, le poil de cochon d’Inde dressé. Une série de grand format en ton hommage qui s’étalerait d’un bout à l’autre de la barrière de ciment. Ça aurait de la gueule, non ?


Un instant désarçonné, Paul Robson crut d’abord que Donald Moumoute voulait reproduire son portrait sur l’œuvre qui lui tenait à cœur. Une secousse de tête lui permit de réintégrer sa peau de hamburger intelligent. Entre parenthèses, Donald Moumoute ne ressentait aucune gêne à accueillir un extraterrestre chez lui et à élaborer en parallèle une muraille anti-immigration. Sa sensibilité de tomahawk l’empêchait de ressentir cette contradiction. Et si on la lui avait pointée du doigt, il aurait sans doute ricané et déclaré que le jour où les Mexicains tomberaient du ciel l’Amérique saurait les recevoir (réponse qui demeurait très ambigüe).


- C’est une idée, répondit le conseiller évasivement. Mais je voulais t’entretenir d’un autre sujet. Connais-tu le tyran qui gouverne le Turkménistan du nord, Kon Je Nou ?


- Ça me dit quelque chose, chuinta Donald Moumoute qui avait oublié en grande partie la discussion de tout à l’heure.


Paul Robson lança un regard irrité à ses collègues qui saluèrent sa patience d’un bref hochement de tête.


- C’est l’homme qui te permettra de redevenir populaire. En ce moment, il n’arrête pas d’envoyer des missiles dans la mer...


- Et alors ? Nous aussi nous envoyons des missiles dans la mer. Nous en envoyons aussi sur terre, dans le ciel et dans la gueule de nos ennemis. Il n’y a pas de mal. J’imagine que le pays de ce Kon Moi On a une frontière avec le Mexique. Il se sent menacé par ces foutus bouffeurs de tacos alors forcément... 


- Une loi internationale lui interdit de se doter de telles armes et...


- Oui, mais nous aussi nous nous fichons des règles. Tu es bien naïf, mon cher Milhap (ainsi s’appelait la créature artificielle). Devant les caméras, nous signons des traités et des pognes et en off, nous agissons à l’opposé de nos engagements. C’est le business : tout le monde s’efforce d’entuber l’autre en douceur, de faire ses coups dans l’ombre pour augmenter sa puissance.


Après cette tirade, la respiration sifflante du hamburger emplit la pièce.


Inquiet de ce silence, Donald Moumoute se colla à la paroi en verre :


- Ça va, Milhap ?


- Il t’a traité de vieux gâteux, mentit Paul Robson à bout d’arguments.


- What ? se raidit le président, ses sourcils touffus écrasants ses paupières tombantes.


Plus tard, Amanda Fingertip qui semblait avoir couru le marathon se jeta sur Donald Moumoute à la sortie de la pièce interdite.


- Quoi encore ? grogna l’homme excédé qui s’il avait pu aurait craché du feu en même temps.


- C’est encore le président de la France qui téléphone, annonça la secrétaire dont le cœur venait de dépasser les deux cents battements minutes. Il dit que...


- Rien à faire de cette grenouille ! lâcha Donald Moumoute impitoyablement. Raccrochez-lui au nez et ouvrez-moi sur le champ mon compte twitter !


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