À la fin de son récit, l’autre tremblotait
des lèvres.
- Ainsi, vous avez couché avec quelqu’un du
service des manuscrits, répétait-il, ébahi.
- Et ça ne facilite rien, au contraire…
- Il a couché avec quelqu’un du service des
manuscrits, déclara-t-il encore à la serveuse qui détourna la tête.
- Ça va ! Pas la peine de le crier sous
tous les toits !
- Mais c’est fantastique ! Vous vous
rendez compte que…
- Que rien ! le coupa-t-il sèchement. Je
ne suis d’ailleurs même pas sûr que la demoiselle travaille ici…
Cela eut pour effet de calmer l’écrivain.
- Oui c’est vrai, reconnut-il un brin sombre,
vous avez raison. Ne nous emballons pas trop vite.
- Vous ! rectifia-t-il, irrité.
Soudain, la porte de la maison d’édition
s’ouvrit, aimantant leurs regards. Son genou cogna contre le plateau de la
table. C’était elle ! En bottes, jean moulant et veste noire ! Elle
arpentait le trottoir avec la précipitation de l’employé qui quitte
définitivement son bureau. La pointe du nez fendant l’air et les cheveux
palpitants ! Poursuivie par l’obsédante musique de ses talons !
À la tête qu’il faisait, l’autre comprit
immédiatement.
- C’est elle… C’est elle, n’est-ce pas ?
Il ne savait quoi dire, quoi répondre tant il
était paniqué.
L’autre lui serra très fort le bras :
- Eh bien, qu’attendez-vous ?!
Allez-y !
Voyant que cette injonction ne suffisait pas,
il ajouta :
- Sinon j’irais à votre place !
Cette phrase agit comme des ressorts.
Bondissant de sa chaise, il courut derrière elle qui bifurquait à gauche.
Il la rattrapa au milieu d’une étroite rue
peu fréquentée qui se jetait dans l’agitation d’un grand boulevard.
À sa vue, elle grimaça :
- Qu’est-ce que tu fais là ?
Grommela-t-elle, clairement mécontente.
- Et toi ? Lança-t-il en feignant
l’étonnement. C’est incroyable de se retrouver encore !
Ne gobant pas son mensonge, elle poussa un
soupir exaspéré et reprit sa marche.
Il s’élança vers elle, lui saisissant
l’épaule.
- Attends !
Sur le trottoir d’en face, une femme
promenant son caniche s’était arrêtée pour observer la scène. Un commerçant
désoeuvré l’avait rejointe, serrant son portable dans la poche de son pantalon.
- Quoi encore ?!
- C’est vrai, avoua-t-il. Je t’ai attendu
toute l’après-midi devant ton travail mais…
- J’en étais sûre ! S’écria-t-elle.
Jamais je n’aurais dû te le dire. Quelle idiote je suis !
- Ecoute-moi ! hurla-t-il en la secouant
légèrement.
Dégainant son portable, le commerçant
hésita : Devait-il prendre une photo, filmer ou bien appeler les
flics ? « Attendez un peu » lui conseilla sagement la femme au
caniche. Ce dernier jappa en signe d’approbation.
- Si j’ai fait ça, reprit-il d’une voix
bredouillante, c’est uniquement parce que tu me manques… Je ne sais pas comment
expliquer cela. Nous nous sommes pourtant peu vus… Mais c’est comme ça, tu m’as
chamboulé. Et maintenant ma peau te réclame toute entière.
Elle expulsa un mince filet d’air par sa
bouche entrouverte. Il continua :
- Alors oui, je te le promets, si tu ne
ressens pas la même chose que moi, je m’en vais sur le champ et tu n’entendras
plus jamais parler de moi. Je te demande juste de ne pas me mentir à cause de
ton métier. De laisser parler ton cœur. Ne t’ai-je pas touché un peu ?
- Je… Je…, balbutia-t-elle, déstabilisée.
Puis elle se reprit : Ce n’est pas possible, un point c’est tout !
Se défaisant de son étreinte, elle avança.
Cette fois-ci, il ne la retint pas. Il la regarda s’éloigner, bras ballants.
Déçue, la femme tira sur la laisse pour que
son caniche se lève. Rangeant son portable, le commerçant retourna à regret
vers sa sinistre boutique pleine de babioles.
(À
suivre)
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