2019/04/08

5. L’œil du tigre (5/9)



Les jours suivants lui parurent horribles. Il s’en voulait de l’avoir laissé partir. Il se traitait de lâche dès qu’il voyait son reflet dans une glace ou une vitrine. Il aurait dû la retenir avec un baiser, une étreinte, une explosion de colère, un écoulement de larmes, un hurlement triste. Ou du moins essayer. Pourquoi n’avait-il rien fait ? Pourquoi était-il resté prostré sur sa chaise comme une statue débile ? Plus ces pensées revenaient dans sa tête plus il broyait du noir. Au boulot, pour un oui ou pour un non, il envoyait paître ses collègues. Il écoutait d’une oreille distraite les clients et leurs donnait de mauvais conseils. Dès la fin de l’heure, il se précipitait chez lui et s’enfermait dans sa chambre plongée dans les ténèbres. Là, il restait allongé sur le lit à ressasser son échec. Le téléphone pouvait sonner, il ne décrochait pas. La faim se manifester, il ne se nourrissait pas. Le sommeil le gagner, il ne fermait pas les yeux. Au bout de trois jours de ce régime, il alla voir son médecin traitant qui lui prescrit un arrêt d’une semaine. Il ne savait pas si ce laps de temps suffirait mais c’était toujours ça. Il aviserait dans le cas contraire. Et puis peut-être qu’en passant à l’action, son mal diminuerait. Même s’il n’obtenait aucun résultat.

Sur internet, il chercha combien de maisons d’édition se trouvaient près du parc. Il y en avait une dizaine. Il élimina les petites maisons d’édition. Il n’en restait plus que cinq. Puis il sélectionna celle qui se trouvait proche de l’endroit où ils s’étaient rencontrés. Les éditions Colimaçon. Très bien, demain il irait là-bas et il verrait bien si elle y travaille. Guilleret, il sautilla en direction du frigo. L’appareil contenait un pot de crème fraîche périmé et deux tranches de jambon si vieilles qu’elles auraient pu servir de patin. Il jeta le tout et commanda trois pizzas et une grande bouteille de coca au Papa Tony du coin. Il tira ensuite les rideaux et ouvrit les fenêtres. L’air frai du dehors s’engouffra dans l’appartement, chassant les résidus de cafard.
Il se réveilla en début d’après-midi, fringant. Tout en haut de l’azur dégagé, un soleil triomphant flamboyait. Il s’étira dans un carré de lumière puis se prépara un café. Il était si euphorique qu’il crut à un moment que le journaliste de la radio s’adressait directement à lui : «  Ouais, coco, c’est ton jour. Pas de lézard ». Mais en fait l’autre parlait de la Cote d’Ivoire. Il éclata d’un franc rire lorsqu’il le réalisa.

(À suivre)

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