Arrivé devant la maison d’édition, son
euphorie et sa détermination le quittèrent. Située à proximité d’une place,
elle était dominée par l’édifice surélevé et pompeux d’un théâtre, constitué de
colonnes obèses et blafardes. Sentant ses jambes trembler, il s’immobilisa à
quelques mètres de l’entrée rikiki en verre équipée d’un interphone. Ses
pensées tournoyèrent dans tous les sens : Et maintenant que faire ?
Qui demander à l’interphone ? Et pour quelle raison ?... Des perles
de sueur dégoulinaient sur son visage défait. Son cœur battait la chamade et
ses muscles étaient contractés. Il se sentait incapable de faire un pas de plus.
« Pardon » fit un livreur pressé et pas rasé en l’écartant. Puis, s’annonçant
à l’interphone, il disparut à l’intérieur de la maison d’édition. Complètement
paralysé, il ne profita pas de l’occasion pour entrer. Il s’éloigna même du
bâtiment comme s’il était infesté de créatures malfaisantes. Boire, il avait
besoin de boire quelque chose de fort pour reprendre du poil de la bête. Ça
tombait bien, au milieu de la place se trouvait la terrasse du café du théâtre.
Il s’y installa, déprimé. « Qu’est-ce que je vous sers ? » lui
demanda une jeune femme sur un ton de fusil à pompe braquant une sandwicherie.
« Un rhum sec ». Elle acquiesça comme si, pour lui, c’était le
meilleur choix à faire puis prit la poudre d’escampette.
Elle lui servit la boisson au moment où le
livreur pas rasé enfourchait son scooter. Il en but immédiatement une grande
gorgée ce qui le détendit un peu. Toujours ça de pris, pensa-t-il en se
redressant. Constatant que de sa table il avait une vue directe sur la maison
d’édition, il sourit. Après tout, rien ne l’obligeait à rentrer dedans. À un
moment ou à un autre les gens allaient bien sortir et il verrait bien leurs
têtes. Pourquoi se causer bêtement un infarctus. Il faisait beau et il avait le
temps... Ragaillardi, il sirota son rhum, les yeux rivés sur la porte chétive
en verre. Plusieurs livreurs maigres et pas rasés se succédèrent. On aurait dit
qu’ils appartenaient tous à la même famille ou qu’ils avaient traversé les
mêmes terribles épreuves pour apporter leurs paquets, un tremblement de terre, des
brigands, la varicelle… Des fumeurs montrèrent aussi le bout de leur cigarette.
Ou plutôt des fumeuses. Pour la plupart jeunes et jolies. Allez savoir
pourquoi, l’édition les attire comme une pâtisserie à la crème. Elles
papotaient en cercle, expulsant nonchalamment leur fumée en l’air. Cependant, pas
de jolie brune aux yeux brillants parmi elles. Il commanda un deuxième verre.
Lorsqu’il toucha le liquide des lèvres, la silhouette d’un homme le recouvrit
partiellement :
- Je peux m’asseoir à votre table ?
(À
suivre)
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