- Ça y est, annonça-t-elle
dans un souffle. La deuxième rafale est passée.
- Bien, rétorqua Annabelle
sur un ton las. Tu vas pouvoir être tranquille pour le reste de la journée.
Étant restées proches, la
mère et la fille s’appelaient au moins cinq fois par jour. Elles se racontaient
tout, des petits tracas à leurs problèmes de couple. À cause du divorce récent
de sa fille, c’était d’ailleurs plutôt Catherine qui s’épanchait beaucoup sur
ce sujet.
Il y eut un silence que le soupir
d’Annabelle interrompit.
- Oui, je sais ce que tu
penses, ma fille, concéda Catherine. Tu ne comprends pas pourquoi je n’ai rien
dit.
- Écoute maman, on en a déjà
parlé des milliers de fois, maugréa la trentenaire sans cacher son agacement.
Moi, avec Xavier, quand je ne voulais pas, je lui disais non et il n’y revenait
pas.
- Mais je n’y arrive pas,
fit Catherine sur le point d’éclater en sanglots.
- C’est justement ça le
problème. Tu es trop gentille et tu as habitué papa à tes consentements. Voilà pourquoi
il se comporte avec toi de manière égoïste. En fait, tu récoltes ce que tu as
semé.
- Oh, je t’en prie ne dis
pas ça. Tu sais combien ce genre de propos me bouleverse, supplia Catherine en
se ratatinant comme une petite vieille.
- Mais c’est la vérité,
asséna sa fille impitoyablement. Le jour où tu lui as proposé une trêve, tu
n’aurais pas dû céder aussi facilement. Maintenant, tu le payes !
- Tais-toi ! hurla
Catherine à bout de nerfs.
Sentant qu’il était inutile
d’en remettre une couche, sa fille cessa de parler. Elle ne comptait plus le
nombre de fois où elles avaient eu cette conversation et où elle avait cherché
des solutions au problème de sa mère. D’abord, elle lui avait suggéré de partir
quelques semaines en vacances avec sa meilleure amie Colette. Catherine s’y
était opposée catégoriquement. Comment Guy pourrait-il se débrouiller sans elle
lui qui ne savait pas cuire des pâtes ? Alors Annabelle lui parla du
stratagème classique : la simulation de la migraine. Sa mère était si
fleur bleue qu’elle dût lui expliquer à deux reprises en quoi cela consistait.
Lorsque Catherine comprit
l’astuce, elle éclata d’un rire idiot. « C’est ingénieux »
reconnut-elle. « Mais je ne me sens incapable de jouer la comédie ».
« Pourtant, tu la fais
bien lorsque tu halètes pour que papa vienne plus vite » rétorqua sa fille
qui avait prévu sa réplique.
« Ah oui mais là c’est
différent » s’offusqua Catherine. « C’est pour lui faire
plaisir ».
Par provocation, Annabelle
lui proposa en dernier ressort de réduire en poudre la moitié d’un
antidépresseur et de le verser en catimini sous cette forme dans le café au
lait de son mari. Ainsi, sous l’effet du médicament, la libido de Guy
déclinerait jusqu’à devenir quasi-nulle. Bien sûr, cette suggestion révulsa Catherine
et la fit sortir exceptionnellement de ses gonds. Comment sa fille avait-elle
pu imaginer un moyen aussi perfide ? Et comment avait-elle pu croire une
seule seconde que Catherine l’utiliserait ? C’était minable !
Bas !
À un moment Annabelle crut
que sa mère allait lui raccrocher au nez. Cependant, l’autre ne le fit pas. Au
bout de cinq minutes, sa nature profonde reprit le dessus. Elle se radoucit et
aborda un sujet futile comme si de rien n’était. La dernière fois que sa fille
avait vu Catherine dans cet état datait de l’âge de ses cinq ans. Sur une aire
de jeux, un garçon lui avait volontairement fait un croche-patte et sa mère lui
avait hurlé dessus comme une lionne en furie. L’intervention de la mère du
fautif n’y avait rien changé. Bref, devant la mauvaise volonté de Catherine, Annabelle
cessa de lui faire part de ses idées (elle n’essaya même pas celle de l’amante
qui risquait de provoquer chez sa mère une explosion similaire). Vaincue, elle
se résigna à écouter ses jérémiades. Ce qui ne l’empêchait pas lorsqu’elle n’en
pouvait plus de lui dire le fond de ses pensées. En ces occasions, elle se
sentait souvent coupable. C’est pourquoi, comme sa maman, elle n’insistait pas
et changeait très vite de sujet. Fidèle à sa ligne de conduite, elle énuméra
donc ses derniers achats de vêtements sur des sites de ventes privées.
(À
suivre)
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