Début
Nous nous arrêtâmes au
premier hôtel sur notre route, le Majestic, un trois étoiles à la façade
démodée. Dans l’ascenseur qui menait à notre chambre, Brad me mit un doigt et
me lécha l’oreille.
- Tu mouilles pire qu’une
fontaine. Ça promet.
Je souris. J’avais hâte
qu’il me besogne et je fus surprise qu’il ne commence pas à le faire dans la
cabine puis dans le couloir désert. Un peu à la manière de Tyler Durden. En
conséquence, je pris les devants en pêchant dans sa braguette mais, d’une main
ferme, il arrêta mon geste :
- Chaque chose en son temps.
Sans m’en proposer, il se
servit une vodka dans le bar. Il la but cul sec puis en reprit une autre.
Assise sur le bord du lit,
je le fixai, désorientée. Depuis que nous avions passé le pas de la porte, il
n’était plus le même. Un infime changement s’était opéré en lui. Lequel ?
Je n’aurais su le définir, mais je sentais que quelque chose le tracassait.
Voire le rendait triste.
La troisième vodka qu’il avala
m’en convainquit. Était-ce à cause de son couple qui partait en vrille ?
En ce moment, tous les
magazines people en parlaient. Ça n’allait plus du tout entre lui et Angelina
Jolie. D’après eux, la jolie brune lui reprochait ses frasques et voulait le quitter.
Après un quatrième verre (je
me demandais également si elle n’en avait pas marre de son alcoolisme), l’homme
commença à ôter son déguisement. Les lunettes d’abord puis la pellicule de
latex sur son crâne et son front. Étrange striptease.
Nous n’avions pas pris la
peine d’allumer la pièce comme si nous avions craint que l’éclairage du plafond
nous pulvérise. De l’unique fenêtre passaient par intermittence les feux des
voitures pareils aux rayons fureteurs de machines policières futuristes.
Parfois, certains s’attardaient sur le visage marqué de Brad et ma gorge
s’encombrait d’une boule volumineuse. Comme il avait l’air désemparé !
En silence, il s’approcha de
moi, me renversa sur le dos puis écarta mes cuisses.
Il ne fit aucune remarque
sur mon absence de culotte ni d’ailleurs sur mon rasage intégral, collant
tendrement ses lèvres contre celles de mon vagin. Je plongeai ma main dans ses
cheveux drus. Les siennes cherchèrent mes seins tandis que du bout de la
langue, il me titillait le clitoris. Je me cambrai. Mon dieu !
Puis, tout à coup, plus
rien. L’homme se figea, sidéré.
- Qu’y a-t-il ?
m’inquiétai-je.
Pour toute réponse, le dos
musclé de Brad tressauta puis j’entendis des reniflements saccadés. Eh merde,
il chialait !
Dégoûtée, je l’interrogeai
sur la raison de ses pleurs (j’hallucinais : qu’est-ce que c’était que ce
Brad Pitt en carton-pâte ?).
- Angie, bredouilla-t-il.
Elle ne veut plus de moi.
Et ses larmes entre mes
cuisses, quelle horreur ! Franchement, je regrettais de m’être
rasée !
Il marqua un arrêt comme
s’il espérait un geste de réconfort de ma part (alors là, ma gueule, tu peux
crever !).
D’une ondulation féline, je
me séparai de lui.
Il ne parut pas le
remarquer. Les yeux mouillés, il ajouta :
- Mais ce n’est pas tout...
La façon dont il avait
prononcé ces mots coupa mon élan de fuite.
- C’est-à-dire ?
Laborieusement, il se
redressa, retourna vers le bar et s’assit. Deux verres de vodka furent
nécessaires à sa confession. Bien que je fusse maintenant habituée à la
pénombre de la pièce, je ne distinguais pas bien son visage. Seules les
lumières venues de l'extérieur me le dévoilaient de temps en temps. J’avais
l’impression d’être dans un mauvais film, un polar à petit budget, la chambre
d’hôtel ténébreuse, le gars au bout du rouleau, bourré, sur le point de me
faire une révélation extraordinaire.
Machinalement, mes yeux
scrutèrent les fenêtres obscures du bâtiment en face. Peut-être, derrière l’une
d’elles, un tueur armé d’un fusil à lunette allait tirer d’un instant à
l’autre...
- Je n’en peux plus d’être
ce que je suis, dit-il avec difficulté. J’en ai marre, je voudrais être
quelqu’un d’autre.
- Pourtant tu es Brad Pitt,
remarquai-je, choquée par sa réflexion.
Les feux d’une voiture
éclairèrent son visage empli d’une soudaine fureur.
- Justement ! Tu ne
mesures pas quel poids c’est de l’être ! Les sacrifices qu’il m’a fallu
consentir... Le terrible pacte que j’ai dû conclure...
- Le pacte ?
Sans tenir compte de mon
intervention, il poursuivit :
- Mais j’étais jeune et très
ambitieux. Je me moquais de leurs exigences. Je me disais que ce n’était pas
grand-chose, que ça valait le coup d’accepter, que rien ne valait le succès et
la renommée et que je pouvais bien leur donner un peu de moi en échange. Pauvre
crétin présomptueux que j’étais.
- Qu’est-ce que tu
racontes ? Je ne comprends rien.
Cette fois-ci, il m’entendit
et il éclata de rire. Un rire horrible et débridé, comme celui d’un aliéné. Une
nouvelle lumière vint sur son visage et je crus voir le Joker en vrai avec ses
yeux et son sourire de psychopathe. Merde, il était temps que je parte.
- Évidemment que tu ne piges
rien, pauvre conne ! brailla-t-il en manquant de se péter la gueule. Tout
est secret. Je ne dois rien révéler aux gens extérieurs ou ce sera la fin de
tout pour moi. Et le pire c’est que, malgré ma mouise actuelle, je crains cette
fin. Je devrais n’en avoir rien à foutre mais non j’ai peur ! Ils me
tiennent par les couilles, ces cons, de la même manière qu’ils tiennent tous
les autres : Ryan, Matt, Sharon, Jennifer... Depuis la moitié des années
70, c’est le prix à payer pour devenir célèbre. Ils ont eu cette idée vicelarde
et tous ceux et celles qui étaient prêts à payer de leur personne pour voir
leur nom en gros sur les affiches des blockbusters ont accepté. Oui, tous, sans
exception ! Certains ont même poussé le bouchon plus loin pour être dans
les petits papiers de ceux qui décident. J’en fais partie d’ailleurs. C’était
l’époque où je n’avais aucune limite, où je me croyais exceptionnellement
merveilleux.
Il se tut. D’autres lumières
traversèrent la pièce, fixant certaines mimiques de son visage en train de se
décomposer.
- Merveilleux, tu
parles ! reprit-il plaquant ses deux mains dessus. Pute, je suis une
pute ! Plus pute que la dernière des putes ! La reine des putes sur
son trône de fumier ! Pute avec un grand P ! Une grosse
puuuttteee ! Pute au carré ! Au cube ! À la puissance
mille ! Pute illimitée ! (*)
Pendant son
auto-flagellation, vit-il que je m’en allais ? Pas sûr.
Dehors, j’accélérai le pas.
En effet, vu son état psychique, rien ne disait que Brad n’allait pas me suivre
déguisé en je ne sais quoi. Aussi, après avoir sauté dans un taxi, j’appelai
Ralph : pouvait-il m’héberger chez lui pour plusieurs nuits ? Ces
derniers temps, je ne me sentais pas très bien. Sans doute le surmenage.
* La lumière sur les paroles
énigmatiques de Brad Pitt est faite dans le roman de Jean Zoubar : Les
mains du désir.
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