2021/03/10

Prostration (Hollywood Cauchemars 29)

 


 

Après cet événement, je restais plusieurs jours cloitrée chez moi. Pour me nourrir, je n’osais plus aller dans les magasins habituels et préférais tout commander par téléphone.

Par mesure de précaution, je déposais la somme exacte en liquide de ce que je devais payer sur le seuil de mon entrée afin de ne pas ouvrir au livreur. Clair, je préférais éviter de me retrouver nez à nez avec Terminator.

D’abord, j’entamai une période de digestion pendant laquelle, alitée la plupart du temps, les images de ma mésaventure repassèrent en boucle dans ma tête.

Encore une fois, un cortège de questions leur fit écho, me mettant dans tous mes états. Que s’était-il passé pour que les choses déraillent ? Qu’avais-je fait de mal ? Payais-je pour toutes mes coucheries avec les stars du grand écran ?

Pressentant l’imminence d’autres questions plus dérangeantes, j’attrapai le morceau de pellicule cramée qui avait représenté l’un des affreux. À mes yeux, cet objet existait réellement. Je sentais bien sa rugosité entre mes doigts tout comme son odeur désagréable. Il n’était pas possible que je l’invente. D’une façon continue, j’entends. Une hallucination dure-t-elle en permanence ? Non, cet objet témoignait que je n’étais pas folle. J’avais bel et bien vécu la course poursuite dans la ville avec Jack Sparrow puis l’agression avec John McClane.

Plusieurs fois lors de ces ressassements infernaux, je fondis en larmes. Des crises violentes comme je ne pensais jamais en connaitre. Le corps hoquetant, je poussais d’horribles cris de souris prise au piège et cognais de toutes mes forces sur mon oreiller ma rage et ma détresse. Je sombrais ensuite dans le sommeil pour des durées plus ou moins longues.

Ayant baissé les stores électriques de ma chambre et n’en sortant que rarement, je fus très vite incapable de deviner l’heure qu’il était. Était-ce le jour ? Était-ce la nuit ? Je n’aurais su répondre et d’ailleurs je m’en battais.

À un endroit que je ne cherchais pas à identifier, mon Iphone 7 se manifestait par intermittence, réceptionnant toutes sortes de messages. À moitié inconsciente, j’y répondais parfois d’une voix moribonde : « Steve ? Steve c’est toi ?... Pardonne-moi, Steve… Il va falloir que tu rappelles. Je suis trop fatiguée… ».

De temps en temps, l’homme génial m’apparaissait en rêve. Fringué décontract’ et équipé d’un micro-cravate, il présentait sa nouvelle invention au monde. Dans la salle, le public composé en grande partie de journalistes étrangers était suspendu à ses lèvres, disposé à recueillir chacune de ses phrases comme une prophétie. Cependant, au beau milieu de son introduction, son regard se troublait et d’une voix chevrotante, il annonçait :« Mais je ne peux pas continuer sans vous parler d’abord de la personne qui a inspiré ce projet. Sans elle, il n’aurait jamais vu le jour et j’ignore si je serai devenu un leader. Stacy, mon amour, lève-toi ». Les joues en feu, je me levais sous les regards admiratifs des gens. Le sourire plein d’une infinie tendresse, Steve me tendait les bras. Un halo de lumière blanchâtre nous enveloppait, chaud, doux, protecteur. Nous ne nous quittions pas des yeux. Autour de nous, les êtres et les objets avaient disparu. Plus de scène, plus de sièges, plus de spectateurs. Il n’y avait plus que nous. Notre couple, son cerveau brillant, mes jambes fabuleuses.

Puis, au moment où j’atteignais l’homme de ma vie, tout basculait. Son sourire charmant se changeait en un rictus hideux. Ses traits, telles des bêtes rampantes, se mettaient à onduler. Ses cheveux et sa barbe poussaient. Jack Sparrow me faisait face, s’esclaffant comme une baleine avinée.

Médusée, je ne bougeais plus. S’il n’y avait eu que lui et son rire atroce. Mais non, dans mon dos, d’autres rires méchants s’élevaient. Je n’avais pas besoin de me retourner pour les identifier. En fait, je ne les connaissais que trop bien. Celui de James Bond, d’Indiana Jones, de l’inspecteur Harry… Uniquement des rires célèbres, appartenant à des héros de blockbuster !

Je me réveillais toujours à cet instant, trempée de sueur et haletante. Puis, après avoir recouvré mes esprits, je m’apitoyais à nouveau sur moi, chialant comme pas possible. Combien de temps demeurais-je dans cet état lamentable ? Je ne saurais le dire. Peut-être une ou deux semaines. Une Stacy que je ne connaissais pas, faible, looseuse et déprimée, avait pris le dessus sur la battante et avait bien failli avoir sa peau.

Quel fut l’élément qui déclencha le retour de la winneuse ?

Là encore, je serais bien incapable de me prononcer. Peut-être cela date-t-il du jour où, par mégarde, j’avais vu mon reflet désastreux sur la fenêtre de la cuisine ? Un frisson intense m’avait labouré l’échine. Je ne m’étais pas reconnue. Et si je m’étais couchée par la suite comme à mon habitude, il est certain que cette vision d’épouvante m’avait chamboulée. Mais peut-être aussi qu’en mon for intérieur, je ne pouvais pas rester comme ça. Tandis que je devenais une loque, petit à petit la Stacy battante se refaisait une santé et remontait la pente. Oui, cet abattement n’avait été qu’un intermède. Juste un temps de répit pour permettre à la guerrière de se remettre en selle.

 

2021/03/09

Vision d'horreur (adieu ligne 13)

 

Même sans monde et assis, on peut transpirer. Par exemple en ayant à hauteur des yeux pendant plusieurs stations un sac à dos léopard particulièrement gerbant.

2021/03/03

Changement de film (Hollywood cauchemars 28)

 

Maintenant, je comprenais pourquoi Jack Sparrow n’avait pas tenté de me rejoindre à pieds en me voyant à l’arrêt. En neutralisant sa bagnole, j’avais en quelque sorte pressé le bouton d’une zappette et changé de programme. J’étais passée de Pirates des Caraïbes à Die Hard sans vraiment le vouloir. Et si je me sortais encore de cette situation abracadabrante, je risquais de basculer dans je ne sais quel autre blockbuster inepte. C’était le thème du jour me semblait-il.

Les larmes aux yeux et le boule au ventre, je secouai la tête en réponse aux « toc-toc » stressés et stressants de John McClane sur la vitre de ma portière.

Je ne connaissais que trop bien cette scène du film, le troisième de la série. Son arme de service coincée dans l’arrière de son pantalon, le héros se balade dans un quartier noir harnaché d’une pancarte avec un message raciste.

Or, nous étions à Compton, l’endroit des gangs blacks à fleur de peau. S’il montait dans ma caisse, j’étais grave dans la mouise.

- Ouvre moi la porte, connasse ou je te crame le cerveau, hurla-t-il en pointant son flingue sur moi.

- Non, descends, pétasse, fit une voix éraillée du côté opposé. Ou je m’en charge avant lui.

Tandis que résonnait un bruit sourd et métallique, je me tournai vers mon deuxième interlocuteur, un grand black musclé avec un glock dans le poing.

Un temps, j’hésitai à me baisser pour que les deux se trucident. Cependant, un coup d’œil sur John McClane me fit changer d’avis.

Tenu en joue par un obèse tatoué et un malabar saturé d’angles droits, l’homme avait lâché son arme et levé les bras en l’air.

Dépitée, je sortis sous les sifflets concupiscents de la dizaine de voyous autour de ma Lexus.

- Ouah quel lot. J’ai le mètre en émoi.

- Ma poutre dans le cul, biatche, c’est ce que tu vas avoir.

D’un reniflement sec, le chef obtint la fin des rires gras.

John McClane et moi fumes réunis sur le trottoir puis encerclés par la bande dont la plupart des membres étaient défoncés à la meth et dardaient sur nous des regards brillants de haine et de vilenie. 

- Voilà, pauvre conne, t’es contente de toi ? me lança le flic, dégoûté.

Tremblante, j’esquissai un haussement d’épaules comme si c’était la réponse idoine. En fait, je me sentais dans l’incapacité de réagir normalement. Mon corps, mon cerveau semblaient engourdis, prisonniers d’un brouillard glacial qui les séparaient des sollicitations extérieures. Quelqu’un aurait donné un coup de marteau sur mon genou, j’aurais très certainement tiré la langue. Pareillement, on m’aurait proposé de boire un pot, j’aurais répondu que je préférais la mer. J’étais loin, très loin de ce qui se passait et paradoxalement, ma perception des choses s’était affinée. Je voyais tout autour de moi, comme dotée d’une vision multidimensionnelle. Non seulement les salopards près de nous mais aussi les spectateurs de la scène, semblables à des boeufs trépanés, l’enfant sur son vélo avec son tee shirt de Spiderman, la femme forte à la fenêtre d’un immeuble vétuste et puis les conducteurs roulant en file indienne et au pas, un couple de vieux retraités, une jeune maman et son bébé assoupi et même deux flics, celui côté passager, la bouche grande ouverte, pleine de la bouillie de son cheeseburger. Ne manquait qu’un vendeur de popcorn pour parfaire le tableau.

Seule ma main serrant mon Iphone 7 entretenait en moi une infime étincelle de combattivité. Instinctivement, je l’avais saisi au moment de m’extraire de ma voiture.

Pourquoi ? En soi, cet objet ne m’était d’aucune utilité dans la situation présente. Il ne tirait pas de balle ni ne permettait la téléportation. Appeler la police n’était même pas envisageable. D’abord parce que ces enfoirés ne me laisseraient pas faire ensuite parce que ça ne marcherait certainement pas.

Je me trouvais dans une autre réalité. Une espèce de mur en verre s’était dressé entre les gens et moi. Gens qui, de toute manière, n’avaient même pas l’idée de le briser pour changer le cours des événements. Sinon les flics en patrouille de tout à l’heure auraient dégainé leurs flingues en braillant les sommations d’usage. Non, étant malheureusement devenue un sujet de fiction, je ne pouvais que compter sur moi. Et pour l’instant, faute d’avoir en tête une solution, je m’étais agrippée à mon Iphone 7 comme à une bouée de sauvetage.  Peut-être pour demeurer en contact avec Steve Job, sentir sa présence rassurante avant de subir les outrages violents de ces camés en rut.

- Alors comme ça, tu hais les nègres ? dit le chef à John McClane.

- Pas du tout, répliqua le flic, penaud. En fait, c’est une blag...

Un terrible coup de crosse sur la tempe mit un terme à son explication. Il s’étala par terre avec le bruit d’une armoire en chêne. Tous les sous-fifres ricanèrent.

- Et si avant de le buter on s’occupait de la gonzesse ? suggéra l’un d’eux. Ça lui fera un beau souvenir à raconter à ses potes blancs damnés de l’enfer.

- On pourrait aussi lui détruire la rondelle, proposa un autre. Je suis certain que ça l’amenderait. Rien de tel qu’une bonne et grosse bite noire dans le fion pour réajuster son pet.

- Preum’s, éructa un troisième en cognant son torse du poing.

- J’t’accompagne, fit un quatrième, baveux d’envie rectale.

- La ferme ! rugit le chef, irrité par ce think-thank du bitume.

Roulant des yeux, sa tête pivota de john McClane à moi plusieurs fois comme à la recherche d’une inspiration qui l’élèverait par rapport à ceux qui avaient parlé. Manège qui dura bien une minute et qui me plongea dans une terreur abyssale. Qu’allait-il dire ? Qu’allait-il trouvé de plus terrible que ses sbires ? Et comment réagirait-il s’il ne trouvait pas ? Soudain, posant à nouveau son regard de dément sur moi, il plissa les yeux et s’humecta les lèvres :

- Qu’est-ce que tu tiens dans ta main, pouffiasse ?

Merde, mon Iphone 7 ! Tous mes muscles se contractèrent. Ces bâtards auraient pu me prendre à la chaîne ou en grappe, je l’aurais admis. Et j’y aurais même mis du miens afin que ces messieurs ressentent du bien-être. Mais là qu’un seul de ces pourris touche à mon Iphone 7 ça me donnait carrément la gerbe.

Bombant le torse, je toisai le grand dadais qui flancha légèrement devant ce regain de fierté.

J’ouvris la bouche et les mots qui en sortirent coulèrent comme un soda d’une fontaine de fastfood. J’avais l’impression d’être possédée. Comme si ces paroles ne venaient pas de moi ni de mon cerveau mais étaient dictées par un être surnaturel. Steve Job ? Peut-être… Ne disait-on pas qu’il avait laissé un peu de lui dans chacun de ses appareils ? En tout cas, ce que je disais n’avait aucune logique dans ma situation. J’entends par là que ce n’étais pas la réponse correspondante au problème. Du moins pour une personne sensée (ce que j’étais en temps normal).

Et pourtant, à mon grand étonnement et avec une grande assurance, je me mis à dire des choses a priori absurdes. Adoptant la posture de critique de cinéma, je fis part de mon avis sur le troisième volet de Die Hard.

Aussitôt, la frayeur changea de camp. Les visages de mes agresseurs blêmirent et furent assaillis de tics violents. Celui de John McClane aussi. Comme si plusieurs électrodes avaient été appliquées sur leurs joues et leurs fronts et provoquaient leur brusque contraction. Leurs membres se mirent également à trembler, les contraignant tous à lâcher leurs armes. Encouragée par ces réactions, je haussai la voix : 

-  En prenant les manettes de ce film, John Mc Tiernan décide d’aller à contre-courant du premier Die Hard, long métrage qu’il avait également réalisé. Alors que dans celui-ci, l’action montait crescendo soutenue par une mise en scène d’horloger suisse, cette suite… 

- Mais tu vas te taire, salope ! réussit à articuler le chef, plié en deux et larmoyant.

Une bave mousseuse s’échappait des commissures de ses lèvres et ses yeux palpitaient comme des œufs frits. Ses acolytes et John McClane, quant à eux, avaient atteint un stade supérieur de dégradation. Fumant des orbites et de la bouche, tous se tordaient de douleur sur l’asphalte. Chorégraphie chaotique qui donnait l’impression qu’un démon s’était réveillé en eux et avait allumé un feu de joie. D’ailleurs, des flammes apparurent sur les corps des plus fragiles, les transformant très vite en torche humaine.

Non sans un certain plaisir, je m’approchai de la crevure et shootai sur son flingue que sa main crispée essayait de reprendre.

- Cette suite, répétai-je encore plus fort, démarre dès le début à deux cents à l’heure et place le spectateur au coeur de l’action. Tournée caméra à l’épaule, elle le plonge dans le maelstrom du réel et le malmène comme le héros. Son statut de spectateur change. Il n’est plus en train de regarder John McClane agir. Il agit avec lui ! Procédé qui, dans son intention d’impliquer le spectateur et de l’introduire dans l’image, surpasse, et de loin, le cinéma 3D !

Reprenant mon souffle, je souris. L’homme était maintenant dévoré par les flammes et n’émettait plus que des borborygmes. En chien de fusil, il ressemblait à un gros morceau de charbon qui se délite. Ou plutôt qui se recroqueville. Tandis que des claquements résonnaient de manière intempestive, des plis violents altéraient sa silhouette en la réduisant.

- Tu le paieras ! cria une voix derrière moi.

Je me retournai. C’était John McClane dont le visage aux orbites noires et plein de cloques émergeait du brasier grondant qui le consumait.

- De plus, ajoutai-je en guise de coup de grâce. Par cette réalisation accrochée au réel, John Mc Tiernan réussit deux prouesses qui sont d’ailleurs contradictoires. D’une part, il renouvelle le genre et d’autre part il y met un terme. Car, comme nous le verrons dans les années qui suivront, la plupart des longs métrages d’action reprendront sa manière de filmer. Ceci pour un piètre résultat comparé au modèle.

Constatant que tous mes ennemis étaient terrassés, j’arrêtai là mon laïus. Autour de moi, les feux s’étaient amenuisés. Quelques uns s’étaient même éteints, remplacés par un cordon tourbillonnant de fumée noire. À moitié pantelante, je m’avançai vers l’un d’eux. Lorsque je vis la matière carbonisée de la taille d’un caillou, je faillis m’écrouler par terre. Cela n’avait rien à voir avec un reste humain. Un os ou je ne sais quoi. Non, c’était autre chose... Autre chose en rapport direct avec le septième art... Un bout de pellicule chiffonnée !





2021/03/01

Les comédies françaises ratées (pensée)

 

 

Dans certaines comédies françaises, on a l'impression que les auteurs ont trouvé deux trois vannes à peu près potables puis après qu'ils ont brodé le film autour. Pour couronner le tout, il arrive souvent que dans ces œuvres mal bricolées, le rythme soit confondu avec l'hystérie. Si bien que tu as l'impression d'entendre tes voisins dans une version beaucoup plus longue et beaucoup plus pénible.