Trop occupé à se servir au
buffet, J. J. Dujardin n’avait rien capté de la scène. C’était bien les
français, ça, un peuple au cerveau colonisé par la panse.
- Je te conseille ces petits
canapés à la mûre et au foie gras, dit-il avec son sourire impeccable.
Absolument délicieux !
Questions : l’opération
pour installer un tel sourire était-elle lourde ? Combien de temps
devait-on rester sur le billard ? Et de quels genres d’instruments le
chirurgien se servait ?
- Je n’ai pas faim.
- Oh toi, tu n’as pas l’air
dans ton assiette (les français et leurs métaphores culinaires !). Le
mieux c’est d’en parler.
Nous nous installâmes sur un
canapé, prenant au passage deux coupes de champagne. À cet endroit, la musique
nous parvenait en sourdine. Kendrick Lamar que j’avais reconnu semblait
chuchoter. Les quelques personnes présentes parlaient à voix basses comme
partageant des secrets. Peut-être à cause des doux clapotis de la fontaine à
proximité. Mais peut-être aussi me faisais-je des idées ?
Bien que j’eus du mal à
l’admettre, les propos de Ralph m’avaient chamboulée. Mes tempes bourdonnaient
et une salive âcre imprégnait ma bouche.
- Alors, qu’est-ce qui ne va
pas ? attaqua de but en blanc l’acteur français.
Son sourire de bouffon me
parut si outrageant que je faillis l’envoyer paître. Cependant, je me retins.
J’avais besoin de parler ne serait-ce que pour sortir de mon état de confusion.
- J’ai un problème et je
n’arrive pas à le résoudre.
Il but la moitié de sa coupe
et pour une fois afficha un air sérieux (tout en conservant les coins de ses
lèvres en hauteur).
- Lequel ?
- Je ne couche qu’avec des
acteurs.
Ses yeux s’allumèrent.
- Et c’est tout ? Je
veux dire où est le problème ? En général, les acteurs sont cools et
beaux ! Pour preuve ! fit-il en se désignant.
- Mouais, mouais,
maugréai-je sans conviction.
- Attends, s’excita-t-il. Je
ne sais pas avec qui tu as fricoté mais tu es gâtée ici. Ryan Gosling, James
Franco, Matthew McConaughey, tous ont un putain de sex appeal ! (il leva
les yeux en l’air, cogitant). Sauf si tu n’as fréquenté que des acteurs de
seconde zone. Alors là, je comprends.
- J’ai une tête et un corps
à me taper des branquignols ? m’insurgeai-je, hors de moi.
- Non, non, bien sûr, se
rattrapa t-il. Et puis tu es avec moi (il réfléchit encore). Et Sean
Penn ! Quel monstre ! Tu t’es fait Sean Penn ?
Hochement de tête de ma
part.