2019/11/29

Essais ratés (Crise internationale 6)


 

Bien qu’il était dos au militaire, un de ses gardes du corps l’avait averti de son entrée dans la salle grâce à une oreillette coincée dans son lobe droit. La musique lancinante du jeu vidéo résonnait parasitée par les cliquetis des médailles produits par les tremblements incoercibles de l’officier supérieur (en effet, une règle voulait que quiconque pénétrait dans l’endroit, devait s’arrêter sur une dalle bien précise. Dalle qui cachait une rampe menant à une mort certaine et pas nécessairement indolore (du moins, c’était ce qu’on racontait, personne n’étant jamais revenu après avoir été happé par le trou dans le sol). Pour l’abaisser, il suffisait que Kon Je Nou appuie sur un bouton spécial de sa manette).

- Grand Kon, unique et de nul autre, entonna le décoré discordant, plus courbé qu’un spaghetto après cuisson. Chef suprême de la République du Turkménistan du nord, indéfectible pilier de la nation, mur en or porteur du progrès et de la connaissance...

- C’est bon, c’est bon, s’impatienta l’homme potelé, montrant un profil glacial. Les faits, Som Them, rien que les faits.

- Parmi les dix missiles que nous avons lancé, uniquement deux ont fonctionné, balbutia l’autre, le visage déformé par la honte et ruisselant (des plocs de plus en plus rapprochés s’élevaient d’une flaque de sueur naissante juste sous celui-ci).

- Deux seulement ! rugit l’homme-bébé en tournant franchement la tête.

 Les yeux mi-clos, brûlés par sa propre transpiration, le général acquiesça avec véhémence.
Il n’était en poste que depuis trois mois, son prédécesseur ayant été « limogé » qu’après une dizaine de semaines environ. En fait, si pendant longtemps cette place de chef militaire n’avait comporté que des avantages (le plus prisé étant d’agrandir sa collection de médailles), elle était devenue hautement périlleuse depuis que Kon Je Nou s’était mis en tête d’améliorer la capacité balistique du Turkménistan du nord. 

Pour quelle raison ? Nul ne le savait vraiment. Du jour au lendemain, le leader avait eu cette idée, très mauvaise au demeurant et n’en avait pas démordu malgré les échecs à la pelle qui avaient suivi. En effet, si le pays possédait une réelle expertise pour les défilés militaires impressionnants (un peu comme le Brésil avec son fameux carnaval), il partait avec un sérieux handicap concernant ce domaine. D’une part parce qu’une grande partie des ingénieurs Turkménistanais croupissaient dans des geôles. D’autre part parce que les réserves nationales de matières premières nécessaires à la construction d’un missile étaient extrêmement faibles. Il fallait redoubler d’ingéniosité pour en produire : mettre du carton à la place de certaines parois métalliques, bourrer de pétards la partie explosive, installer un pilote « volontaire » dans le compartiment réservé au guidage, etc...

Le général Vou Som Them ne l’avait pas spécifié mais les deux missiles qui avaient marché avaient offert aux éventuels spectateurs naviguant sur l’océan un splendide feu d’artifice (prélevé sur le stock réservé aux dix anniversaires du chef de la nation, très friand de cadeaux) . Quant aux huit défaillants, ils n’avaient même pas quitté leur rampe de lancement, le système de mise à feu à pédales ayant déraillé.

Et maintenant, malgré ce court sursis gagné par ses silences, il attendait que le sol s’efface sous ses pieds et l’avale goulument.
- Je vais grossir les chiffres de mon discours au peuple de demain, annonça Kon Je Nou après une cogitation douloureuse. Je dirai que nous avons envoyé cinquante missiles et que soixante-quinze ont explosé. Qu’en pensez-vous, Som Them ?

- C’est une excellente idée, riche Kon.

- Évidemment que c’est une excellente idée. Si j’en espérais d’incapables dans ton genre, je dégringolerai.

Et content de sa vanne, il pressa le bouton spécial de sa manette.

 

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