Bien qu’il était dos au
militaire, un de ses gardes du corps l’avait averti de son entrée dans la salle
grâce à une oreillette coincée dans son lobe droit. La musique lancinante du
jeu vidéo résonnait parasitée par les cliquetis des médailles produits par les
tremblements incoercibles de l’officier supérieur (en effet, une règle voulait
que quiconque pénétrait dans l’endroit, devait s’arrêter sur une dalle bien
précise. Dalle qui cachait une rampe menant à une mort certaine et pas
nécessairement indolore (du moins, c’était ce qu’on racontait, personne n’étant
jamais revenu après avoir été happé par le trou dans le sol). Pour l’abaisser,
il suffisait que Kon Je Nou appuie sur un bouton spécial de sa manette).
- Grand Kon, unique et
de nul autre, entonna le décoré discordant, plus courbé qu’un spaghetto après
cuisson. Chef suprême de la République du Turkménistan du nord, indéfectible
pilier de la nation, mur en or porteur du progrès et de la connaissance...
- C’est bon, c’est bon,
s’impatienta l’homme potelé, montrant un profil glacial. Les faits, Som Them,
rien que les faits.
- Parmi les dix
missiles que nous avons lancé, uniquement deux ont fonctionné, balbutia l’autre,
le visage déformé par la honte et ruisselant (des plocs de plus en plus
rapprochés s’élevaient d’une flaque de sueur naissante juste sous celui-ci).
- Deux seulement !
rugit l’homme-bébé en tournant franchement la tête.
Les yeux mi-clos, brûlés par sa propre transpiration,
le général acquiesça avec véhémence.
Il n’était en poste que
depuis trois mois, son prédécesseur ayant été « limogé » qu’après une
dizaine de semaines environ. En fait, si pendant longtemps cette place de chef
militaire n’avait comporté que des avantages (le plus prisé étant d’agrandir sa
collection de médailles), elle était devenue hautement périlleuse depuis que Kon
Je Nou s’était mis en tête d’améliorer la capacité balistique du Turkménistan
du nord.
Pour quelle
raison ? Nul ne le savait vraiment. Du jour au lendemain, le leader avait
eu cette idée, très mauvaise au demeurant et n’en avait pas démordu malgré les
échecs à la pelle qui avaient suivi. En effet, si le pays possédait une réelle
expertise pour les défilés militaires impressionnants (un peu comme le Brésil
avec son fameux carnaval), il partait avec un sérieux handicap concernant ce
domaine. D’une part parce qu’une grande partie des ingénieurs Turkménistanais croupissaient
dans des geôles. D’autre part parce que les réserves nationales de matières
premières nécessaires à la construction d’un missile étaient extrêmement
faibles. Il fallait redoubler d’ingéniosité pour en produire : mettre du
carton à la place de certaines parois métalliques, bourrer de pétards la partie
explosive, installer un pilote « volontaire » dans le compartiment
réservé au guidage, etc...
Le général Vou Som Them
ne l’avait pas spécifié mais les deux missiles qui avaient marché avaient
offert aux éventuels spectateurs naviguant sur l’océan un splendide feu
d’artifice (prélevé sur le stock réservé aux dix anniversaires du chef de la
nation, très friand de cadeaux) . Quant aux huit défaillants, ils n’avaient même
pas quitté leur rampe de lancement, le système de mise à feu à pédales ayant
déraillé.
Et maintenant, malgré
ce court sursis gagné par ses silences, il attendait que le sol s’efface sous
ses pieds et l’avale goulument.
- Je vais grossir les
chiffres de mon discours au peuple de demain, annonça Kon Je Nou après une
cogitation douloureuse. Je dirai que nous avons envoyé cinquante missiles et
que soixante-quinze ont explosé. Qu’en pensez-vous, Som Them ?
- C’est une excellente
idée, riche Kon.
- Évidemment que c’est
une excellente idée. Si j’en espérais d’incapables dans ton genre, je
dégringolerai.
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