Au beau milieu de Rak
city, capitale de Turkménistan du nord, s’érige un palais monumental visible de
tous les endroits de la ville bien qu’un proverbe Turkménistanais prétend le
contraire : « Où que tu sois à Rak city et quoi que tu y fasses, l’œil du
palais ne te quitte pas ».
Constitué de hauts
murs, de colonnes sculptées et de toits pointus, il abrite en son sein le
grand leader du pays, président du peuple au travail, commandant en chef des
forces militaires et ordonnateur suprême des affaires nationales qu’elles
soient publiques ou privées, Kon Je Nou, quatrième du nom, fils de Kon Tu Nou, empereur
des siens, saint Père de l’industrie et du bâtiment, général émérite des
armées, guide éternel de la nation.
C’était un homme gras
d’une quarantaine d’années au visage poupon avec de petits yeux cruels qui
écorchaient vivement ses interlocuteurs tout en les strangulant. Rares étaient
ceux qui soutenaient son regard. Et encore moins en liberté ! Car cet acte
considéré comme une offense conduisait immanquablement en prison.
Mieux valait regarder
ses pieds quand on s’adressait au grand manitou. Il était même recommandé de pencher
la tête en avant, de courber l’échine et de respirer le moins possible afin de
ne pas flétrir l’air ambiant et par conséquent d’irriter les narines
présidentielles.
Tête basse, dos plié et
économe de ses respirations, le général Vou Som Them attendait que Kon Je Nou
lui adresse la parole depuis maintenant une bonne quinzaine de minutes.
Alors qu’il était entré
dans la vaste pièce au sol et aux murs de marbre pour lui faire son rapport au
sujet des derniers essais de missiles, il avait trouvé le chef d’État en pleine
séance de réflexion.
Du moins, ainsi
appelait-on ce temps qu’il consacrait à jouer à des jeux vidéo de combats ou de
courses automobiles, une manette à la main, affalé dans un canapé en cuir
doublé de buffle pouvant accueillir une famille de rhinocéros.
En l’occurrence, Kon Je
Nou pilotait une Lamborghini dont les accélérations tonitruantes répercutées
par des enceintes dernier cri suppliciaient les tympans de tout individu normalement
constitué.
S’efforçant d’ignorer
les vrombissements perforateurs, le militaire haut gradé jeta discrètement un
coup d’œil sur l’écran qui s’étalait sur tout un pan de mur de la pièce.
La voiture du président
n’était qu’en quatrième position et allait se faire doubler par une Porsche
particulièrement accrocheuse. Cela ne présageait rien de bon pour la suite. Kon
Je Nou détestait perdre et devenait particulièrement odieux avec ses subalternes
lorsque c’était le cas.
La Lamborghini rata un
virage et se planta dans le décor.
Le général déglutit
tandis que les bourrelets de graisse sur les bras nus du joueur aux tempes
rasées cessèrent leurs hypnotiques ondulations.
- Quelque chose à me
dire, général Vou Som Them ? siffla ce dernier tel un cobra sur le point
de mordre.
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