Mais laissons Paul Robson à
son furtif désespoir, personnage secondaire de cette fable et revenons à nos trois
principaux classés dans l’ordre des questionnements qui nous traversent
l’encéphale, c’est-à-dire Donald Moumoute, Manuel Trèbon et Kon Je Nou.
En effet, tout cela était
bien beau mais des zones d’ombres demeurent qui nécessitent des
explications : et d’abord, pourquoi le président américain avait-il
subitement voulu que Manuel Trèbon se batte à sa place ? Sa vanité
commandait qu’il s’occupe en personne de Kon Je Nou. Sauf que dans ses
priorités, la poignée de main importait plus que le combat. Ainsi cette
substitution avait pour but d’user Manuel Trèbon avant leur rencontre. Non que
Donald Moumoute doutait de gagner. Mais il souhaitait une victoire facile,
écrasante. Avec un président français fatigué, ce serait dans la poche !
Il n’aurait même pas à forcer. De la même manière, il avait la certitude que
son remplaçant terrasserait Kon Je Nou. Parce que dans son esprit plein de
connexions défectueuses, il ne pouvait en être autrement. Le Bien triomphe
toujours du Mal à la fin, tous les épisodes de Star War le confirment. Alors
Moumoutor ou Manuel Trèbon, c’était du pareil au même. La victoire leur
reviendrait comme un fruit trop mûr qui tombe d’un arbre. Au bout de la chaîne
de production, Donald Moumoute récolterait le cageot complet. Vainqueur du
vainqueur du combat, il raflerait la mise et verrait son prestige grandi. Le
peuple américain reprendrait confiance en lui et il pourrait enfin lancer les grands
travaux à la frontière avec le Mexique : un mur géant en titane hérissé de
barbelés et équipé de mitrailleuses et de bazookas. Des messages inscrits tout
le long de sa façade ordonnant aux parasites de rebrousser chemin. Et pourquoi
pas, des Moumoutors armés jusqu’aux dents patrouillant vingt-quatre heures sur
vingt-quatre en hélicoptère et en jeep. L’accomplissement d’une vie !
Deuxième point, comment
Donald Moumoute avait-il convaincu Manuel Trèbon de le remplacer ? À vrai
dire, il n’avait pas vraiment eu à le faire. À peine lui apprit-il que sa
cheville soi-disant tordue l’empêcherait certainement d’affronter Kon Je Nou
que l’autre se proposa spontanément d’être son remplaçant. Le président
américain en resta coi une quinzaine de secondes au téléphone. Lui qui s’était
trituré la cervelle pour que le président français aille dans son sens (un
argument qu’il jugeait fort lui était venu au dernier moment, une option en
plus dans le package guerre : laisser à Manuel Trèbon la possibilité de
choisir le pays cible qu’il lui soumettrait). Cependant, si Donald Moumoute y
avait réfléchi, la réaction de son jeune homologue était somme toute
prévisible. Le risque d’annulation du combat conduisait au report de la poignée
de main qui repoussait aux calendes grecques leur projet de guerre. Pressé de
nature, partisan du court terme, le fulgurant ne pouvait
envisager une telle éventualité. Après avoir été président de la République
avant l’heure, il espérait bien être le chef d’État qui éliminerait une bonne
fois pour toute les ennemis de la démocratie du globe (de la même manière qu’il
comptait bien éliminer tous les extrémistes à chaussettes rouges dans son
pays). Les Américains, eux, avaient
clairement compris comment devait s’exercer le pouvoir. Il ne savait plus quel
illustre résident de la Maison blanche avait prononcé cette phrase mais elle
résumait tout à fait sa façon de voir les choses : « Un
président sans guerre, c’est un État qui se dirige vers l’abattoir ». Pas
question donc pour lui de rater son grand rendez-vous avec l’Histoire. Et comme
sa foi en lui était incommensurable (pour ne pas dire obscène), il se sentait
capable de l’avancer. Pour cette raison, il ne doutait pas non plus d’infliger
une raclée à Kon Je Nou. D’après de vieilles fiches de renseignements, l’homme
n’avait jamais pratiqué de sport et se nourrissait régulièrement de hamburgers
et autres cochonneries du même style. Vaincre le « gros patapouf »
(ainsi le nommait-il) serait donc une simple formalité. Et la gloire qu’il en
tirerait lui donnerait la légitimité pour la suite. Du gagnant-gagnant sur
toute la ligne (il n’incluait pas la poignée de main avec Donald Moumoute dans
ce business plan politique, une pacotille qu’il avait l’intention de perdre
pour s’épargner la rancœur du versatile).
Enfin, troisième et dernier
point : et Kon Je Nou dans tout ça ? Pourquoi avait-il dit oui à
Donald Moumoute ? A priori, il ne gagnait rien à cet échange. Alors je
repose la question : pourquoi ? Penchons-nous un peu et écoutons la
conversation téléphonique entre les deux dirigeants.
Kon Je Nou – Qui ose
m’appeler la veille de mon combat ?
Donald Moumoute, n’ayant
rien compris à ce que venait de dire le Turkménistais dans sa langue et s’en
fichant – C’est moi, petit rocket man, j’ai un problème.
Kon Je Nou, comprenant et
parlant parfaitement l’Anglais et reconnaissant son interlocuteur – Un
problème, vieux croulant ? Aurais-tu peur ?
Donald Moumoute, mort de
rire – Peur, moi ? Ah ! Ah ! Ah !
Kon Je Nou – Ton rire sonne
faux. Et ton appel est vain. Quoi que tu veuilles, tu n’obtiendras rien de moi.
Donald Moumoute, gémissant –
Je me suis tordu la cheville !
Kon Je Nou, inflexible – Pas
question d’annuler le combat. Si tu déclares forfait, je me ferai un plaisir de
répéter aux médias occidentaux que tu es la pire lavette de la terre.
Donald Moumoute – Personne
ne t’écoutera quand on verra que je dis la vérité – plus bas – sous chicano de
seconde zone. Et puis je ne veux pas annuler le combat. Au contraire, je veux
le maintenir. Un collègue est prêt à prendre ma place.
Kon Je Nou, interloqué –
Qui ?
Donald Moumoute, légèrement
hésitant – Je ne me souviens plus de son nom mais c’est le chef d’État de la
France.
Après la description de la
fonction du combattant suppléant, Kon Je Nou revit instantanément dans sa tête
l’image de Manuel Trèbon en train de le menacer à la télé. Alors, pour la
deuxième fois de sa vie, « l’homme qui ne sourit jamais » se tordit
de rire.
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