Pour les trois héros de
cette histoire tout semblait se présenter sous les meilleurs auspices. Kon Je
Nou se voyait déjà terrasser l’ogre américain par l’intermédiaire de son double
destructeur et revenir triomphant au pays. Donald Moumoute, grâce à sa machine
guerrière, imaginait exactement la même chose (remplacez l’ogre américain par
le nain turkménistais). Avec en bonus le fait qu’après le combat, il allait
également ridiculiser Manuel Trèbon, ce sale petit morveux, en lui écrasant les
doigts... Enfin sa machine plutôt (mais dans l’esprit du président américain,
il n’y avait pas vraiment de différence. Ce robot c’était lui, une projection
de sa force). Quant au président français, il ne doutait pas de refoutre une
raclée à son homologue d’outre atlantique. Il avait la jeunesse pour lui et
surtout ce mental qui peut tordre l’acier d’un simple regard. Tout comme il ne
doutait pas d’avoir bientôt une guerre juste à mener qui augmenterait
considérablement son prestige et l’immortaliserait. Il en avait prévenu son
état-major et avec une poignée de ministres avait établi une liste de dix pays
à remettre manu militari dans le droit chemin.
Pourtant, comme c’est
souvent le cas, un événement chamboula les beaux films intérieurs de nos fringants
chefs d’état. La veille du combat, en rassemblant les pièces de Moumoutor pour
le monter, l’équipe technique remarqua qu’il manquait un mollet. Espérant qu’il
avait été oublié, on appela d’urgence la base aux États-Unis où tout avait été
préparé. Mais là encore impossible de mettre la main dessus. Le mollet avait
disparu et il n’existait pas de pièce de rechange (un espion d’une nation
ennemie l’avait-il subtilisé ?).
Paniqué, Paul Robson alla
voir Donald Moumoute pour l’informer de la mauvaise nouvelle.
- Et alors ? Fit
l’inébranlable. On n’a qu’à lui construire une jambe de bois.
Après une tonne
d’explications fastidieuses pour lui retirer cette idée saugrenue de l’esprit,
le conseiller reprit son souffle (comme il regrettait de ne pas avoir pu
emmener le faux hamburger de l’espace au Switzland).
- Nous n’avons pas le choix,
monsieur le président, il faut annuler la rencontre, annonça-t-il de but en
blanc.
- Hors de question !
répliqua Donald Moumoute, outré par cette suggestion de repli. Nous sommes
venus, nous n’allons pas partir sans nous être battus, vu ?
- Mentons ! insista
Paul Robson, les yeux se fuyant mutuellement d’une façon frénétique. Informons
la délégation turkménistaise que vous vous êtes tordu la cheville lors de votre
entrainement et que, par conséquent, vous ne pouvez affronter Kon Je Nou
demain. Dans la foulée, proposons une nouvelle date pour le combat, le temps de
fabriquer un nouveau mollet pour Moumoutor. Ainsi, nous ne perdrons pas la face
et, pour le prochain match, mettrons tous les atouts de notre côté.
- Non ! rugit
l’inconstant, le visage écarlate.
Choqué, Paul Robson eut un
mouvement de recul.
Les traits convulsés, le
vieux fauve lui montrait les dents et semblait sur le point de le frapper.
- Euh, balbutia l’intello
craignant pour son intégrité physique, n’est-il pas préférable que vous vous
économisiez ?
- M’économiser ? répéta
l’autre, interloqué. Pourquoi donc ?
- Ben, pour votre combat de
demain. Vous allez gaspiller vos forces en vous défoulant sur moi.
Un grand éclat de rire
succéda à cette remarque et l’éminence grise comprit avec effroi qu’une idée
insensée avait germé dans l’esprit incomplet de son patron. Laquelle ? Il
allait bientôt l’apprendre mais il dut lutter contre lui-même pour que ses
mains ne se plaquent pas sur ses oreilles et que ses jambes ne l’éloignent pas
de l’énormité à venir.
- Qu’est-ce qui te fait
croire que je vais me battre demain ? ricana Donald Moumoute soudain
allègre. Non, j’ai un autre plan en tête et il est bien meilleur que l’initial.
Écoute bien : je vais désigner quelqu’un qui me remplacera.
- Qui ? suffoqua Paul Robson
en se touchant le cœur. Il savait pertinemment que n’importe quel nom pouvait
sortir de cette bouche hideuse, calibrée pour la défécation. Le sien par
exemple. Après tout, Donald Moumoute le détestait ouvertement et cela suffisait
à ses yeux pour l’envoyer dans l’arène. Quelles que soient les conséquences.
Conséquences, soit dit en passant, que le cerveau présidentiel peinait à
concevoir.
Aucun nom ne fut prononcé
pour la bonne et simple raison que le président américain ne l’avait jamais
mémorisé.
- Le PDG de la France, lâcha
l’imprévisible, plus fier que jamais. Il fera très bien le job. Appelle-le.
- Mais... Mais, hoqueta le
conseiller, incapable d’ajouter un mot de plus.
Pourtant, il ne manquait pas
d’arguments à opposer à cette ineptie. D’abord rien ne garantissait que Manuel
Trèbon allait donner son accord à Donald Moumoute. Pareillement, il fallait que
Kon Je Nou approuve le changement d’adversaire. Et dans l’hypothèse fort
improbable où les deux accepteraient de se battre, le premier n’avait aucune
certitude de gagner. Le Français avait la réputation de ne pas être très malin.
Il risquait de se battre à la loyale. Tandis que le Turkménistais…
- Et appelle aussi l’autre
zouave ! clama l’infernal, fermement décidé à n’écouter que lui.
S’exécutant, Paul Robson se
consola en pensant qu’aucun des deux chefs d’État n’acquiescerait à la
proposition de Donald Moumoute. C’était trop absurde.
Il déchanta une demi-heure
plus tard. À son grand étonnement, Manuel Trèbon et Kon Je Nou réagirent avec
enthousiasme à la demande du président américain. En quarante ans de carrière
dans les coulisses du pouvoir, il n’avait jamais connu une telle situation.
C’était comme un alignement affreux de narcissisme, d’arrogance et de
stupidité. Une conjonction invraisemblable dont la toxicité affaiblirait à coup
sûr les USA. Mais pouvait-il y faire ? Les dés étaient jetés. Ne restait plus
qu’à assister au désastre.
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