Les deux téléphones sonnent sans arrêt. La
demoiselle chargée d’y répondre reste calme. Sourire aux lèvres, elle interroge
d’une voix douce son interlocuteur et tandis que le deuxième téléphone sonne, elle
lui demande de patienter deux petites secondes, décroche le combiné et annonce le
nom de la société qui l’embauche ainsi que son identité. Les traits de son
visage fin ne trahissent aucune lassitude. Elle semble s’amuser de ces coups de
fils répétés au cours desquels les échanges sont pauvres et limités. Elle porte
une casquette et un uniforme aux couleurs enthousiastes de l’entreprise. Les
produits vendus autant que les employés doivent être époustouflants et gais.
Fixée au plafond, une télé allumée sur une
chaîne sportive diffuse du football. Entre deux courts extraits de match, des
spécialistes aux faux airs de prophète palabrent à n’en plus finir. Sur un
présentoir, végètent les journaux du jour. Il y a aussi une table haute cernée par
trois tabourets de bar aux coussins volumineux. Rien n’est assez confortable
pour le client qui attend. Vient enfin mon tour. Je m’approche de la caisse. Le
vendeur me regarde à peine. Je semble déjà le fatiguer avant d’ouvrir la
bouche. Peut-être croit-il puérilement m’impressionner avec son air de dur,
genre je suis à la caisse mais je m’en tape, tu vas me dire ta commande mais je
m’en tape, je vais quand même la prendre mais je m’en tape. Fixant l’employée
qui prépare les pizzas, je souris, genre : un jour, il faudra dire à votre
collègue qu’il est ridicule dans son rôle de bad guy vendeur de pizzas. Elle me
sourit à son tour genre : ouh non surtout pas, il est tellement drôle
comme ça.
Débute la commande. Et là, je bafouille. Je n’ai pas l’habitude
d’aller dans ce genre de commerce. Une même pizza peut avoir trois ou quatre
pâtes différentes. Il y a je ne sais pas combien de sortes de pizzas. Et puis
comme il est plus avantageux de prendre des menus, il faut donc les examiner.
Avec ou sans salade ? Pizzas moyennes ou grandes ? Une ou deux ?
Accompagnées d’une grande boisson ou pas ? J’en ai le cerveau qui fume. Et
je me sens largué comme si j’avais fait tout à coup un bond en avant dans le
temps d’une dizaine d’années. Tapant sur un écran tactile ma commande hésitante
et maladroite, mon vendeur gangsta sourit. Telle une girouette, le ridicule
s’est déplacé, me revêtant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire