2019/04/15

La course aux mots



Je viens de finir une nouvelle érotique. Après avoir terminé un texte pour enfant, j’avais envie d’écrire un texte moins exigeant, un truc pour me faire plaisir. Finalement, la rédaction de cette nouvelle entre guillemets a été laborieuse, un peu comme d’hab’. Plus je vieillis plus j’éprouve des difficultés pour écrire. J’ai du mal à me concentrer et je cherche de plus en plus mes mots. Là où d’autres alignent les phrases en se frisant les moustaches, moi je rame pour en écrire une seule, galérien du stylo que j’utilise de moins en moins. Attention, je ne sous-entends pas par-là que les écrivains au clavier trépidant (j’ai hésité avec : à la plume intrépide) produisent des œuvres de moindre qualité que les miennes, je dis juste que j’ai compris que je n’appartenais pas à cette espèce formidable (la plupart des écrivains dont j’aime les textes sont des graphomanes, j’en parlerai plus tard). Aussi, lorsque je travaille, je ne me fixe pas de nombre de mots à écrire, ce genre d’objectif me flingue. Si je me dis bon là, coco, tu es parti pour 500 mots (un objectif équivalent au remplissage d’une carte postale pour les prolifiques), je sais que je ne vais pas y arriver, au bout de deux phrases, je perds mon courage, je me liquéfie, me traite de minable et à la fin, échouant dans mon entreprise, ai le sentiment d’avoir fait de la merde (ce qui n’a aucun rapport, je sais, mais c’est comme ça). Voilà sans doute pourquoi je n’éprouve aucune satisfaction au nombre de mots ou de pages que j’ai réussi à écrire au bout d’un certain temps plutôt long en général. Une part de moi sait que cette comptabilité m’empoisonne et joue sur mes humeurs. Si, pour avancer, certains ont besoin de s’astreindre à écrire au quotidien une certaine quantité de mots, je sais qu’avec moi cette méthode ne fonctionne pas. Pas la peine de me torturer donc. J’en chie déjà bien assez comme ça.
C’est tout pour aujourd’hui.

2019/04/12

bus 514 (transport 5 et 6/15)



9. La proposition (qui vaut ce qu’elle vaut) (9/9)





Alors il hurla :
- Un contrat !
Elle s’immobilisa :
- Comment ?
- Si on rédigeait un contrat sur lequel je n’aurais pas le droit de toucher un stylo ou d’utiliser un traitement texte pendant notre relation ?  
Elle posa un doigt sur sa bouche, évaluant la proposition :
- Tu pourrais quand même me harceler après…
- Un article me l’interdirait ! répondit-il du tac-au-tac.
- Comment ferais-tu pour les papiers administratifs ?
- Tu t’en occuperais…
- C’est chiant ! dit-elle, cassante.
- Je sous-traiterai ! s’écria-t-il en donnant un coup poing sur son torse. Il doit bien exister des sociétés qui assurent ce genre de service en ce bas monde !
Elle parut un instant contrariée, de fines rides apparaissant sur son front. Puis un sourire lumineux chassa la moue perplexe sur son joli minois :
- Je pense.
Il fit quelques pas vers elle.
Elle en fit autant.
Quand ils furent à portée l’un de l’autre, ils s’étreignirent très fort.
- Je m’appelle Linda, dit-elle.
Il l’embrassa.
- Moi c’est Christophe.
- Je sais.
Leurs yeux pétillaient.
- Qu’est-ce qu’on fait ? demanda-t-il.
- Si on allait à une terrasse… Pour établir les clauses…
Il se frappa le front :
- Oui, oui, of course !

FIN

2019/04/11

Insensibilité (Transport 4/15)


8. L’ultime chance (8/9)




À la fin de son récit, l’autre tremblotait des lèvres.
- Ainsi, vous avez couché avec quelqu’un du service des manuscrits, répétait-il, ébahi.
- Et ça ne facilite rien, au contraire…
- Il a couché avec quelqu’un du service des manuscrits, déclara-t-il encore à la serveuse qui détourna la tête.
- Ça va ! Pas la peine de le crier sous tous les toits !
- Mais c’est fantastique ! Vous vous rendez compte que…
- Que rien ! le coupa-t-il sèchement. Je ne suis d’ailleurs même pas sûr que la demoiselle travaille ici…
Cela eut pour effet de calmer l’écrivain.
- Oui c’est vrai, reconnut-il un brin sombre, vous avez raison. Ne nous emballons pas trop vite.
- Vous ! rectifia-t-il, irrité.

2019/04/10

Que du bonheur ! (Transport 3/15)


7. L’inconnu au manteau fripé (7/9)



L’homme avait le visage ridé et de folles mèches blanches. Il portait un manteau fripé et un foulard mauve. Sous son bras droit était coincée une vieille sacoche en cuir.
Il jeta un coup d’œil sur la terrasse et constatant qu’il y avait encore des places libres, lança un regard interrogateur à l’individu.
Nullement déstabilisé, ce dernier s’assit quand même sur une chaise :
- C’est la première fois que vous venez ici, n’est-ce pas ? siffla-t-il en se penchant sur lui avec un air chafouin.
Il acquiesça bêtement, se demandant où l’autre voulait en venir.
- Isabelle ! hurla tout à coup l’homme à la serveuse qui débarrassait une table. Un autre !
Puis, s’humectant les lèvres, il se pencha à nouveau vers lui.
- Allons, ne faites pas l’étonné ! Je sais très bien pourquoi vous êtes ici. Depuis tout à l’heure vous ne quittez pas des yeux la maison d’édition. On ne me la fait pas à moi !
- Et alors ?
- Vous avez écrit quoi ? poursuivit l’autre sans tenir compte de sa réponse. Un roman ? Un essai ? Un recueil de nouvelles ?... Je vous préviens tout de suite, si c’est un recueil de nouvelles, vous perdez votre temps… Où est d’ailleurs votre manuscrit ?... Je ne le vois pas.
Il haussa les épaules.
- Je n’en ai pas.
Les yeux du farfelu se révulsèrent :
- Ou la la ! Ne me dites pas que tout est dans votre tête parce que là, aucun doute, ils vous enverront paître !

2019/04/09

De l'eau dans le gaz (Transport 2/15)


6. Du poste d’observation (6/9)



Arrivé devant la maison d’édition, son euphorie et sa détermination le quittèrent. Située à proximité d’une place, elle était dominée par l’édifice surélevé et pompeux d’un théâtre, constitué de colonnes obèses et blafardes. Sentant ses jambes trembler, il s’immobilisa à quelques mètres de l’entrée rikiki en verre équipée d’un interphone. Ses pensées tournoyèrent dans tous les sens : Et maintenant que faire ? Qui demander à l’interphone ? Et pour quelle raison ?... Des perles de sueur dégoulinaient sur son visage défait. Son cœur battait la chamade et ses muscles étaient contractés. Il se sentait incapable de faire un pas de plus. « Pardon » fit un livreur pressé et pas rasé en l’écartant. Puis, s’annonçant à l’interphone, il disparut à l’intérieur de la maison d’édition. Complètement paralysé, il ne profita pas de l’occasion pour entrer. Il s’éloigna même du bâtiment comme s’il était infesté de créatures malfaisantes. Boire, il avait besoin de boire quelque chose de fort pour reprendre du poil de la bête. Ça tombait bien, au milieu de la place se trouvait la terrasse du café du théâtre. Il s’y installa, déprimé. « Qu’est-ce que je vous sers ? » lui demanda une jeune femme sur un ton de fusil à pompe braquant une sandwicherie. « Un rhum sec ». Elle acquiesça comme si, pour lui, c’était le meilleur choix à faire puis prit la poudre d’escampette.