Hervé pénètre dans le restaurant.
Tout de suite, Ali l’accueille avec son
sourire chaleureux :
« Bonjour, Hervé, comment ça
va ? »
« Bof » rétorque l’homme de cent
trente kilos. Il porte un pull sombre qui amoindrit ses formes. Ses cheveux
courts sont poivre et sel. Sa face rouge est bouffie par l’alcool.
Sa réaction ne déstabilise pas Ali qui garde
le sourire et lui désigne une table :
« A ta place comme
d’habitude ? »
Hervé secoue la tête en bougonnant :
« Ou alors là, face à la
télé ? »
« M’en fous de la télé. »
D’un mouvement du menton, il montre une table
entre son habituelle et celle proposée par Ali.
« Si ça te va, ça me va » fait Ali,
toujours souriant.
Hervé s’installe, las. C’est dimanche et il
12h30. Derrière la vitre de la façade, de jeunes touristes américaines
consultent leur guide afin d’établir leur programme de l’après-midi. A côté,
une vieille femme grabataire et sa fille mangent leur entrecôte frites sans
échanger un mot. Comme Hervé, elles viennent tous les dimanches et mangent et
boivent toujours la même chose à la même heure. Sans se parler.
Parfois la vieille prend sa canne et va aux
toilettes. Sa fille l’accompagne. Elles traversent la salle à allure
d’escargot. Les semelles de leurs chaussures frottent sur le sol tandis que les
toc entêtés de la canne de la vieille donnent la cadence. Comme le chemin est
semé d’obstacles, la jeune essaie de devancer la vieille pour les déplacer.
Cette dernière la repousse. Elle ne veut pas qu’on l’aide.
Au grand désarroi d’Hervé, une autre habituée
s’est installée près de lui. Une autre vieille. En ignorant les touristes
américaines on aurait pu croire que le restaurant d’Ali était la salle commune
d’une maison de retraite.
Coup d’œil sur la télé. Les infos en continu.
Le mec à gueule de Ken (pas le survivant) et costard de trader lance un reportage
sur les marchés de Noël.
Hervé bougonne :
« Quelle merde, Noël. »
Ali pose devant lui son couscous brochettes
et son quart de vin.
« Tu veux de l’harissa ? »
Hervé répond par un mouvement d’épaules
agacé. Pourquoi, alors qu’Ali sait très bien qu’il ne prend jamais d’harissa,
lui en propose-t-il ?
S’il était un tant soit peu commerçant, il
saurait ce qu’il pourrait lui proposer… Mais ça, bien sûr…
L’air renfrogné, Hervé attaque son plat
fumant.
Dans son dos, Samira discute avec des clients
au comptoir. Il tend l’oreille pour écouter la conversation. Mais seulement lui
parvient la voix de Ken.
Alors il boit son pinard et avale de pleines
cuillères de couscous sans discontinuer. Des grains de semoule tombent sur son
pull y ajoutant un peu de fantaisie.
Hervé n’y prête guère attention. Il bâfre et
boit.
Lorsqu’il a terminé, Ali revient vers
lui :
« Un dessert ? »
« Non, un thé à la menthe. »
Saisissant son verre de vin plein, Hervé
ajoute :
« Mais pas tout de suite ! »
La vieille le fixe puis se remet à manger.
Les touristes américaines éclatent de rire. Hervé commence à piquer du nez. Ses
paupières se ferment à intervalles réguliers et son souffle s’alanguit. La
digestion fait son œuvre.
Ce sont les tintements des couverts à côté de
lui qui le sortent de sa torpeur.
« La vieille ! » pense-t-il en
glissant un regard noir dans sa direction.
A sa grande surprise, il découvre que Samira
l’a remplacée.
Celle-ci cesse de manger son tagine et lui
sourit.
La jolie Samira. Avec son décolleté plongeant
sur ses seins magnifiquement ronds.
Gêné, Hervé détourne les yeux puis fait mine
de s’intéresser aux infos en continu. Une agréable chaleur se propage au niveau
de son entrecuisse.
Samira.
Samira s’est enfin mise à côté de lui. Dire
qu’il n’y croyait plus.
Un sourire triomphal parvient à ses lèvres
qu’il s’empresse de cacher derrière sa paluche.
Puis il tourne discrètement la tête.
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