Quand j’ai présenté
mon appartement, j’ai parlé succinctement de mon balcon. Comme je l’ai dit
auparavant ce balcon donne sur le parking de l’immeuble. J’y vais rarement même
quand il fait beau. Pourtant, à chaque fois que j’y mets les pieds il se passe
toujours quelque chose. L’autre fois, je fumais tranquillement en fixant les
voitures garées. Si j’avais eu du pognon et le permis, je me demandais de
laquelle j’aurais aimé être propriétaire. Je me demandais aussi de laquelle
j’aurais pu ressentir une immense fierté, de celle très rare qui évacue pendant
un bon moment les interrogations et livre sans frais de port une raison
d’exister.
Il faisait nuit noire. Si bien que je ne distinguais pas vraiment
les véhicules. Mais même si j’avais pu les distinguer, n’y connaissant rien en
matière automobile, je n’aurais su faire un choix. La nuit me convenait très
bien, en fait. Je matais les ombres de métal et aucune ne ressortait du lot.
C’était plutôt cool comme impression. Relaxant. Tout à mon ramollissement zen,
je ne m’étais pas aperçu qu’un type promenant son chien s’était arrêté pile
poil sous mon balcon : « Bonsoir ». J’ai baissé la tête.
C’était un type gros et mal fringué avec un large sourire collé au visage,
genre Smiley vivant. Au bout de la laisse qu’il tenait, un chien de taille
moyenne et bâtard pissait contre un arbre. « Bonsoir » ai-je répondu
sans réfléchir. Nous nous sommes dévisagés pendant de longues secondes,
silencieux. Constatant que nous n’avions rien d’autre à nous dire je pensais
que le type allait partir, surtout que son chien avait fini de pisser. Il ne
bougeait pas. Moi non plus soit dit en passant. Malgré notre flagrant manque
d’inspiration, nous attendions obstinément que s’épanouisse une conversation. Sans
doute parce qu’on devait se sentir ultra seuls. Ce fut le type au sourire qui
ouvrit le premier la bouche : « Vous êtes nouveau
ici ? ». « Non ». « Ah c’est marrant parce que moi je
vous ai jamais vu avant ». « Bin moi non plus ». Long silence
encore. J’ai tiré quelques taffes sur ma cloppe. Le type attendait
manifestement que je relance cet échange passionnant, que je fasse à mon tour
un petit effort, mais rien ne me venait. « Y fait bon, hein ».
« Ouais ». « Ni trop chaud, ni trop froid, le temps
idéal ». « Tout à fait ». « C’est vraiment étonnant pour la
saison ». « Je vous le fais pas dire ». Un bout du sourire du
type s’affaissa, signe de découragement. « C’est votre chien,
là ? ». A nouveau souriant, il
jeta un regard plein de chaleur sur son animal insignifiant. « Et je veux
dire, ça bouffe beaucoup cette chose ? Le budget croquettes n’est pas trop
élevé ? ». « Oh non ! » s’est écrié le type aux anges
« Et puis à côté de ça, on a plein de satisfactions ! ». Et le type
de m’énumérer les tas de trucs exaltants qu’il faisait avec son clébard :
jouer, sortir, communiquer, regarder la téloche. Il était si fier de ses arguments que j’en ai pris un air scié pour
ne pas lui casser son trip canin. « Putain » j’ai dit
« J’imaginais pas toutes ces possibilités, effectivement, vu comme
ça… ». Le sourire du type croissait. J’avais l’impression qu’il allait lui
dévorer tout le visage s’il continuait. « Franchement » a-t-il repris
« Prenez un chien si vous ne savez pas quoi faire. C’est un excellent
investissement ». « Je vais y réfléchir ». Resilence. Le clebs
s’est gratté une oreille. Lui aussi se faisait grave chier. « Et sinon
vous avez une voiture ? ». « Non » J’ai répondu.
« Ah ». J’ai regardé ma cloppe. Eteinte. Tant pis. Le clebs s’est
gratté plus fortement la même oreille. Il devait certainement avoir des puces.
Un excellent investissement, mon cul. « Et sinon » a insisté le type « Vous
avez une femme ? ». « Hein ? ». « Vous avez une
femme ? » a répété le type, l’air bizarre. « Pas compris » j’ai
fait et je suis rentré chez moi.
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