Lorsqu’Etienne vit le message sur sa boite
mail il crut d’abord à un spam. Sa mémoire à long terme l’empêcha d’activer la
suppression. Le nom de l’expéditeur lui disait quelque chose. Elodie Blandin,
il lui semblait qu’il avait connu une Elodie Blandin il y a fort longtemps.
N’ayant pas de monnaie sur lui, il fit un pile ou face mental, la pièce
imaginaire tomba sur pile, justement son choix. Il ouvrit le message au titre in
english : the tree of life.
Déjà, il fut heureux de constater que sa
mémoire ne lui avait pas joué des tours. Elodie Blandin était bien humaine et
n’en voulait pas à sa carte bleue. Le texte disait en substance ceci :
Salut Étienne,
Je
crois que c’est toi qui m’a emprunté mon DVD de Terrence Malick. Tu pourrais me
le rendre car j’y tiens vraiment. Bises.
À sa lecture l’image d’Elodie Blandin lui
revint. Une petite brune ronde avec des lunettes et des bouclettes. Plutôt
moche. Il l’avait rencontrée à une fête deux ans plus tôt. Comme celle-ci s’était
terminée tard, il avait dormi chez elle avec deux autres potes. C’était tout.
Il ne l’avait pas revu depuis et n’avait d’ailleurs pas cherché à la revoir. Et
voilà qu’elle le recontactait pour un film soi-disant emprunté au Moyen Âge. De
qui déjà ?
Il relut le message. Terrence Malick.
Spielberg ou Cameron il aurait eu un doute à
la rigueur, mais là, non. Pour lui, ce réalisateur était un illustre inconnu.
Son film, d’ailleurs, ne lui évoquait rien. Entre parenthèses, il ne voyait pas
comment ce dernier aurait pu l’intéresser avec pareil titre ! Lui, il
était plutôt film bourrin avec des dialogues de trois mots entrecoupés de
bastons et de fusillades. Piqué par la curiosité, il lança tout de même une
recherche sur internet. Le film avait été primé à Cannes en 2011. Quant à son
auteur, il était considéré unanimement comme un génie. En quarante ans, il
n’avait pondu que des chefs d’œuvre grâce à son style unique et son sens aigu
du beau. Étienne n’alla pas plus loin fatigué à l’avance des paragraphes suivants
truffés de commentaires subtils et élogieux.
Son opinion était faite. La nana qui lui
avait envoyé le mail avait un grain. Il se laissa tomber sur son siège
promenant son regard sur un autoportrait au fusain réalisé par son ex. Depuis
leur séparation, il ne l’avait pas décroché du mur. Pourquoi ? Il avait
couché avec quelques nénettes devant comme pour lui faire mal, la narguer, lui
montrer qu’il pouvait encore prendre et donner du plaisir, explorer d’autres
voies : une fois, il avait même forcé une pétasse de boite de nuit à fixer
le dessin alors qu’il lui ramonait le derche comme pour le déboucher. Ses
lèvres s’étirèrent. Se penchant sur son clavier, il fit cette réponse à
Elodie :
Effectivement,
c’est bien moi qui ai ton film. Si tu es libre demain, je peux te le rendre à
disons 19h00, au clou du spectacle, ça te va ?
Vingt secondes après Élodie lui répondait OK
avec cinq points d’exclamation et un smiley à la peau verdâtre.