2020/09/01

L’horrible cauchemar (Hollywood cauchemars 12)

 

 


Je pense que nous avons tous de la lumière et de l'obscurité en nous - Sean Penn

 

Ralph cogna sa coupe de champagne contre la mienne.

- Fais pas la gueule, Stacy. Y’a du soleil. On est à la terrasse du Ivy. Et le dernier tremblement de terre date de Mathusalem, dit-il tout en faisant un clin d’œil derrière ses lunettes de soleil.

À ma gauche, Kim Kardashian montrait ses derniers achats à ses potesses. Parfois nos regards se croisaient et je voyais la mâchoire de miss big popotin se crisper. En temps normal, cette jalousie instinctive m’aurait amusé, mais là j’avais les nerfs. Contrairement à mon pote Ralph, qui lui jubilait.

- Tu comprends pas, maugréai-je. Ce putain de cauchemar m’a bousillé la nuit. J’ai à peine dormi neuf heures.

- Et alors ? Ça arrive… Et puis une insomnie, ce n’est pas grave. Tu fais une sieste l’après-midi.

Poussant un soupir, je croisai les bras.

- C’est bien ce que je dis, tu comprends pas !

Mon mutisme eut l’effet de l’acide sur la bonne humeur et le sourire pimpant de Ralph. Il crut qu’il avait perdu des points. Lui qui voulait coucher avec moi depuis plusieurs mois pensait que je n’étais pas loin de céder à son désir.

Or, il n’en était rien. Je considérais Ralph comme un bon pote et lui avait attribué secrètement la fonction de premier confident en chef (les nombreux hommes qui tournent autour de moi sont comme ma cour et peuvent être promus ou sanctionnés selon mon bon vouloir. Ainsi, un confident en chef peut être rétrogradé en confident en second puis en sous confident puis en con tout court (à ce niveau, ce n’est même plus la peine que le type me parle)).

Dès que je me sentais mal, c’était lui que j’appelais et à qui je livrais ce que j’avais sur le cœur. Pour cette raison, il n’était pas question que je couche avec lui. Dans ma hiérarchie secrète, un confident n’avait aucune chance de devenir un baiseur et réciproquement. Cependant, je l’avoue, il m’amusait de faire miroiter au premier cette éventualité.

- Et le pire dans l’histoire, c’est que c’est un cauchemar récurrent, repris-je sombrement.

- Ah bon ? dit Ralph, content de voir que je ne lui faisais pas la gueule.

Il but une gorgée de champagne puis inclina la tête à la manière d’un clebs.

- Mais ce cauchemar c’était quoi au juste ?

En moi, plusieurs muscles se dénouèrent. Enfin une question pertinente ! Je jetai un regard d’aigle à Kim puis bombai le torse éperonnant son ego de mes seins fabuleux.

- Tu sais que je suis plutôt le genre de fille cool, Ralph et qu’il en faut beaucoup pour me mettre hors de moi.

- Sauf pour un truc, dit mon ami, un doigt en l’air. Tu as horreur qu’on croit que tu es cinéphile.

- Bingo ! m’exclamai-je. Je déteste qu’on me dise ça. La majeure partie des gens qui vivent à Hollywood pensent que c’est la qualité suprême. Et quand ils t’entendent déballer une ou deux banalités sur le cinéma, ils s’imaginent te faire plaisir et te complimenter en te qualifiant de cinéphile. Je ne compte plus les mecs qui ont employés cette stratégie de tank de la première guerre mondiale pour me draguer. Oui, je sais que les sept mercenaires de John Sturges est un remake des sept samouraïs d’Akira Kurosawa. Oui, je peux défendre le point de vue selon lequel tout l’univers de David Lynch est développé dans Eraserhead. Et oui, le visionnage de dix secondes d’un film me suffit pour identifier qui est derrière la caméra, Scorsese, Mallick, Inarritu et j’en passe. Mais, je te le demande, qu’y a-t-il d’exceptionnel dans tout ça ? À part chez les siliconés des méninges (coup d’œil sur Kim), n’importe qui possède ce genre de connaissances. C’est le B.A.BA !

- Oui, oui, clairement, acquiesça Ralph qui zieutait tout de même autour de lui, gêné par mon coup de sang.

- Alors qu’on ne vienne pas me les briser avec ma prétendue cinéphilie ! Parce qu’à ce moment-là, compte tenu de ma culture, je suis aussi géologue, historienne ou encore économiste. Et quitte à ce qu’on me qualifie de quelque chose, je préfère que ce soit par un de ces trois termes plutôt que cinéphile ! Oui, il n’y a pas photo !

La bouche ouverte, Ralph ne sut quoi dire.

J’approchai mon visage du sien puis murmurai :

- Ce cauchemar est horrible… Je suis assise seule dans une pièce puis, tout à coup, je me retrouve aux côtés d’hommes et de femmes d’âge mûr. Ils portent tous des tenues originales qui ne sont pas adaptées à la température ambiante. Alors qu’il fait très chaud, certains ont des foulards autour du cou, d’autres des pulls à col roulé en cachemire ou des vestes en velours côtelé. Chacune de ces tenues est recherchée et exprime une personnalité forte, soucieuse de sortir du lot. Mon regard se fixe sur les chaussures vertes d’une des femmes dont les semelles semblent avoir été prélevées d’un pneu de quatre-quatre. Puis je remarque des micros sur la table autour de laquelle nous sommes installés. Tout en faisant de grands gestes, un des hommes parle à voix haute. C’est alors que je le coupe et dis : « Non, je ne suis pas d’accord avec toi, Daniel. Dans ce film, le réalisateur ne s’est pas laissé aller à la facilité. D’abord, sa direction d’acteurs est magistrale. Ils sont peu nombreux ceux qui ont réussi à s’en tirer avec une telle concentration de stars. Par exemple, la scène où la mère incarnée par Charlize Theron supplie Tom Cruise et Daniel Craig d’arrêter de se battre est absolument bluffante… ».

- Oh merde, fit Ralph, prenant conscience de ce que je lui racontais.

- Ouais, t’as pigé. Je rêve que je suis critique de cinéma. À la radio en plus, le truc mortel. Tout en débitant des conneries, j’espère viscéralement qu’un incident survienne. Que se déclenche un tremblement de terre ou qu’une araignée géante me saute dessus et m’arrache la tête. Mais non rien ne se passe. Je continue de défendre mon point de vue mécaniquement, prenant mon pied à l’emploi de termes techniques, plan séquence, travelling, climax…

- Oh merde…

- Horrible, je te dis. Un cauchemar à l’envers. Morne. Je ne tombe, ni n’étouffe. Mes interlocuteurs ne fondent pas comme des bougies. Le studio ne devient pas la gueule d’une créature de l’enfer. Rien. Je parle et on passe à une autre sortie sur laquelle j’ai une autre louange à émettre. Car dans ce cauchemar, je trouve tout bien. Y compris les navets.

- Putain…

En même temps que je m’épanchais, une grosse boule se formait dans ma gorge et je sentais Kim s’en réjouir en douce.

- S’il n’y avait eu que ça, chevrotai-je. Ce n’est pas un cauchemar récurrent qui va me casser le moral. Il m’en faut plus. Mais là, j’ai comme un mauvais pressentiment…

Sensible à ma détresse, Ralph posa sa main sur mon épaule nue.

- Ce cauchemar m’avertit, Ralph. Il est prémonitoire. Je vais droit vers un piège. J’ignore à quoi il ressemble mais si j’y tombe, ça va faire mal. Très mal.

- Oh, dis pas ça, Stacy ! s’émut Ralph en cherchant à serrer ma main dans la sienne.

Et tandis que mes yeux s’embuaient, je vis à travers le léger voile de larmes Sean Penn passer. D’un revers de la main, je l’effaçai puis me levai.

 

2020/08/31

Traduction (Adieu ligne 13)

 

Quand le conducteur de la rame dit : « ce train ne prend plus de voyageurs », traduire : « dégagez de mon véhicule, il est HS ».

 

 

2020/08/28

Sagesse (adieu ligne 13)

 

 


Avec l’âge (l’expérience disent les pudiques), quand il y a un big problème sur la ligne, la question est : prends-tu la rame suivante pleine à craquer de tes semblables bien vénères ou laisses-tu passer plusieurs métros pour un voyage certes moins rapide mais cent fois plus serein ?

2020/08/27

Le véritable message du Seigneur des Anneaux (Hollywood Cauchemars 12)

 


 

La dernière fois que j’ai vu le Seigneur des Anneaux, j’ai eu une illumination. C’était dans un grec, le sandwich tout compris, tomate-salade-ketchup-oignons-frites était à quatre euros. Je venais de roter mon coca. « Bon sang mais c’est bien sûr ! » me suis-je écrié et j’ai planté mes crocs dans mon sandwich comme un mort de faim. Jamais je n’avais trouvé un grec aussi bon…

A première vue, le Seigneur des Anneaux raconte une longue et périlleuse quête. Il y a un paquet de personnages dont je ne me souviens plus les noms, à part quelques principaux comme Frodon et Sam, les deux chétifs hobbits qui vont au Mordor pour détruire l’anneau. En gros, malgré pas mal de handicaps au départ, les bons battent les mauvais. Le message est limpide : si tu es gentil, même si tu n’es pas fort, c’est bien et tu gagnes… Si tu es méchant, même superpuissant, c’est mal et tu perds, tananananéreu… Pourtant, il n’est pas certain que l’auteur, à travers cette œuvre, ait voulu transmettre cette morale à deux balles. Tolkien était un homme trop complexe pour se contenter de délivrer cet unique et pauvre message. Rappelons qu’il pratiquait la philologie et qu’il présidait l’association « les plus balèzes casse-têtes du monde » dont Freud et Einstein étaient aussi membres (pour la petite histoire, Freud n’arrêtait pas de dire d’Einstein que son intelligence était très surfaite, ce à quoi Einstein rétorquait : « Au moins la mienne n’est pas latente, blaireau »). Il avait d’ailleurs déclaré à son arrière petit fils de 2 mois et demi 30 secondes avant de mourir dans une chaise longue : « Personne ne devinera ce que j’ai voulu dire dans le Seigneur des Anneaux. Tu m’entends, petit con? Personne ! arggggghhhhh…». Terrorisé par la grimace d’agonie de son arrière grand-père, l’arrière petit fils – qui s’appelait Aragorn junior - lui avait vomi dessus.

Ainsi, il aura fallu attendre plusieurs dizaines d’années et un sandwich grec complet au ketchup avec des frites pour découvrir le véritable sens du Seigneur des Anneaux. Quel est-il ? Pour bien le comprendre, il convient de rappeler que ce sont deux êtres extrêmement faibles, les hobbits Sam et Frodon, qui détruisent l’Anneau du Mal en terrain ennemi.  En apparence, Frodon est le héros puisqu’il a la terrible charge de porter cet anneau. Pourtant, au fur et à mesure du récit, c’est Sam, le hobbit petit, gros et joufflu, qui prend de plus en plus d’importance. En effet, chaque fois que Frodon est en danger de mort, Sam le sauve. A l’évidence, sans Sam, Frodon ne serait jamais parvenu au bout de sa quête. Manquant cruellement de « bollocks », il aurait lamentablement péri à peine le récit commencé (le Seigneur des Anneaux aurait alors fait au maximum trente pages et se serait peut-être intitulé : le petit naze sans burnes). Au contraire, Sam en a pour dix. Aimant Frodon comme un frère, il n’hésite pas à les exposer dès l’apparition d’un danger. Sa vie lui importe peu comparé à celle de son ami. Il est prêt à en découdre avec quiconque lui cherchera des crosses même si c’est un dragon atomique. Pourtant, malgré son dévouement et sa bravoure, Sam ne cessera d’être repoussé par Frodon... Et pire, après la réussite de leur entreprise, seul Frodon sera applaudi et aimé.

Nous touchons là le cœur du Seigneur des Anneaux. Si, à tort, on avance souvent qu’il faut toujours distinguer l’auteur de son œuvre, pour ce cas précis, il est nécessaire de rapprocher l’un de l’autre, de les mêler. En effet, Tolkien était un petit gros. Tout au long de sa vie, le pauvre homme a beaucoup souffert de cet état. Il fut un nombre incalculable de fois l’objet des moqueries de ses semblables. Même célèbre, on continua à rire de lui en disant par exemple qu’il avait écrit le Seigneur des nabots ou encore que son épais roman était graisseux. Freud le surnommait « amicalement » le gros patapouf tandis qu’Einstein lui répétait souvent qu’il devait être le seul humain sur terre dont le poids et la taille n’étaient pas relatifs. Tolkien avait beau réussir les casse-têtes les plus durs, cela n’empêchait pas ses deux amis de se moquer de lui. Ainsi, d’après ces éléments, le Seigneur des Anneaux apparaît sous un autre jour. Tolkien c’est Sam, le petit gros au grand cœur qui reste dans l’ombre malgré ses exploits. Le message délivré est sombre : il dit en substance qu’un petit gros n’aura jamais ni reconnaissance ni amour. Il pourra accomplir de grandes choses, il restera pour les autres aux « ridicules » dimensions de son enveloppe charnelle. « Grotesque ». En pensant cela, on peut d’ailleurs se demander quelle considération avait Tolkien pour son œuvre. La trouvait-il vaine et prétentieuse ? Ou au contraire nécessaire comme le cri que pourraient pousser tous les petits gros meurtris du monde entier ?