2020/05/27

Non, décidément non, lorsqu’ils font un film Eric et Ramzy ne se foutent pas de la gueule du monde !



J’étais à la machine à café lorsqu’une collègue avec une tête d’enterrement m’adressa la parole : « Tout de même, ils se foutent de la gueule du monde ».

« Qui ? » fis-je, interloqué.

« Eric et Ramzy » poursuivit-elle en triant sa monnaie dans la paume de sa main car la machine ne la rendait plus depuis plusieurs jours « Ils se foutent de la gueule du monde ».

Elle poussa ensuite un long soupir comme si prononcer cette phrase lui avait demandé énormément d’énergie. La machine à café trembla puis émit une plainte stridente. Je restais dubitatif, pantois et comateux (c’était lundi). Que voulait-elle dire par là ? Avait-elle rencontré Eric et Ramzy à Carrefour et ces derniers lui avaient-ils piqué sa place dans la file d’attente à la caisse en gloussant comme des otaries ? J’attendais plus d’explications.

Elles vinrent après que ma collègue eut laborieusement touillé son café puis ingurgité plusieurs gorgées de la boisson bouillante en aspirant et déglutissant bruyamment. Avec un pote, elle était allée voir leur dernier film, Seul Two. Il avait été si nul qu’elle avait hésité plusieurs fois à quitter la salle pendant la séance. Heureusement, son pote l’avait retenue car il se sentait incapable de finir la portion géante de pop corn salés qu’ils avaient achetés ensemble. Néanmoins, à la fin, elle avait quitté le cinéma écœurée. Plus pourri, tu mourrais !

A cause d’Eric et Ramzy et de leur film, elle passa tout son dimanche dans un état dépressif, sans manger, sans boire et sans faire pipi. D’ailleurs, elle se sentait encore mal en point aujourd’hui et se demandait si elle n’allait pas se mettre en arrêt une semaine ou deux. Un tel foutage de gueule était vraiment traumatisant. Après ces mots, elle me fixa, attendant que j’abonde dans son sens. J’en fus incapable. Je n’avais pas vu le dernier film d’Eric et Ramzy mais j’avais la certitude qu’ils ne s’étaient pas foutu de la gueule de ma collègue.

Commandant à mon tour un café (en oubliant comme un con que la machine ne rendait plus la monnaie, 60 centimes de bouffés !), je jaugeai mon interlocutrice afin de savoir si elle était en état d’entendre mon point de vue. Son teint était pâle, ses yeux cernés, je remarquai aussi un léger tremblement des mains et des genoux comme après une biture phénoménale. C’était du 50-50 comme disaient les footballeurs avant un match retour de coupe d’Europe pour ne pas se mouiller. Enfin plutôt du 25-75 en y regardant de plus près. Voire du 2-98 si vraiment je voulais être précis et honnête avec moi-même. Bah, après tout je n’en avais rien à foutre de cette collègue. Si encore elle m’avait offert le kawa. En plus, j’avais remarqué un léger rictus narquois sur son visage au moment où j’avais foutu mon euro dans la machine rapace. Elle devait morfler !

«A mon avis » fis-je en prenant un ton supérieur « Tu n’as rien compris à la démarche artistique d’Eric et Ramzy… ».

Elle eut un mouvement de recul, à la fois surprise et épouvantée. Avec désinvolture, je soufflai sur ma boisson fumante puis exposai ma théorie : Lorsqu’ils font un film, Eric et Ramzy ne le font pas dans le sens commun où on pourrait l’entendre. Ils se foutent complètement du scénario, de l’histoire. Ceux qui vont voir un film d’Eric et Ramzy pour l’histoire sont forcément déçus ou dégoûtés. On ne va pas voir un film d’Eric et Ramzy pour l’histoire. Eric et Ramzy ne visent pas l’histoire, ils visent le gag pur. Tels des alchimistes chevronnés, ils cherchent tout au long de leur film à façonner ce joyau d’humour éternel. Il peut apparaître à n’importe quel moment du long métrage. Il peut durer le temps d’un vol de mouche ou celui d’une chanson de Pierre Bachelet. Il peut exploser à la gueule ou délicatement ensorceler. Ca n’a pas d’importance, il est présent dans chaque film d’Eric et Ramzy. Rares sont les artistes a être parvenus à une telle prouesse (personnellement, aucun nom ne me vient en tête). Dans « la Tour Montparnasse Infernale », c’est Eric qui, caché derrière un pylône, saisit une barre de fer en fusion pour frapper un méchant. Dans « Steak » c’est le vertigineux dialogue entre Eric et Ramzy dans la voiture sur l’ancien et le nouvel humour.

Pour ces deux gags purs, ces films sont des chefs d’œuvre. L’inverse est d’ailleurs aussi vrai. Sans ces films, ces gags n’auraient pas eu autant d’éclats. Ils auraient été drôles mais sans plus. Alors qu’avec tous ces tâtonnements, ces essais, ces couches de blagues brutes superposées, ils sont tout simplement géniaux, un vrai régal pour les zygomatiques...

Après cette tirade, ma collègue fut traversée par une série de spasmes comme une électrocutée. De la voix du bourreau qui donne le coup de grâce à sa victime, j’ajoutai qu’il devait certainement y avoir un gag pur dans « Seul Two », voire deux vu le titre, peut-être, suite à mes explications, s’en souvenait-elle et pouvait-elle me les raconter ? Le silence qui suivit dura une éternité. La machine à café frémit puis émit d’étranges et brèves vocalises (ce machin là vivait !). Un collègue passa sans nous saluer. Les yeux de ma collègue grossirent, fixant ma petite personne puis son gobelet encore plein de café. Je souris. Elle montra les dents puis tourna brusquement les talons. Eh, éh, encore une personne que j’avais convaincu. Je ne lui donnais pas une semaine pour mater toute la filmographie d’Eric et Ramzy et une autre supplémentaire pour me remercier.

2020/05/21

Lettre manquante 2 (mots des autres 67)


Lu sur la vitrine d’un salon de coiffure : lissage brésilien, lissage japonais, extension cheveu, défrisage, relooking, maquillage, chignon, anucure.

2020/05/18

Walking Leader dead price (Scène de vie 18)


Matin d’hiver. La boulangerie est fermée. Je promène ma sale gueule pas réveillée dans le Leader Price du quartier. Rayons encombrés de marchandises posées à l’arrache qu’on n’a pas envie d’acheter. Qu’est ce que je fous là ? C’est la question qui se répète dans mon esprit alors que je sais très bien ce que j’y fous. Des tas d’autres sales gueules me croisent comme le reflet de la mienne en plus ou moins vieux ou moche. On se croirait au bal des zombies. A la radio, une pétasse d’une station ado hurle comme si elle se doigtait en permanence. C’est le genre de personne qu’il faudrait interner pour un monde meilleur, éh bien, non, elles sont partout, ces personnes, à la radio, à la télé, au pouvoir. On les admet, résignés de bon matin au Leader Price alors qu’on a fait des tas de cauchemars la veille, qu’on a mal dormi et qu’on est à côté de la plaque. On les tolère comme le verglas gadouilleux sur la chaussée. Que voulez-vous. Parfois, je me retrouve coincé entre deux morts vivants qui semblent hypnotisés par les produits exposés. Je ne dis rien. J’attends. Indifférents à ma présence, ils contemplent des articles qu’ils ne prendront pas. Ils n’ont pas conscience qu’ils me bloquent le passage. Ils sont gras et imposants. Défroqués comme à la maison. Inutile de leur adresser la parole. Ils n’entendraient rien. Ou alors ils seraient capables de piquer une colère et de me bouffer la joue. Aux légumes, une nana s’engueule avec un employé qui range des salades. « Si j’ai bien compris, je dois me démerder ! » dit-elle. L’autre continue ses petites affaires sans se retourner. « Eh ouais » maugrée t-il « je suis comme ça ».

2020/05/16

Photo tronquée (Mots des autres 65)


Un fils à son père après qu’ils aient fait un selfie masqués : « C’est bien, on n’est pas obligé de sourire ».